La tauromachie nous réserve parfois d’excellentes surprises et quelques paradoxes dont Yannis est actuellement le parfait exemple. A l’heure du bilan d’une temporada qui vient juste de s’achever, je pense que beaucoup, dont moi, doivent faire acte de repentance pour avoir peut-être trop pris à la légère les premiers succès du novillero en terres ibériques. Parce que pour un gars du Sud-Ouest, ce n’était pas la peine de chercher son nom sur les affiches de l’Hexagone taurin. Ni una !!!
Après l’avoir vu fonctionner en tant qu’aspirant au sein de la structure « Adour Aficion » de Richard Milian, on l’avait carrément perdu de vue avant que l’on finisse par lire quelques reseñas venant d’outre-Pyrénées où il était assez régulièrement question de triomphes. On pouvait alors se dire que tout ça était bien loin et que ça provenait probablement de pueblos où l’on accorde facilement les trophées, mais peu à peu, il a bien fallu se rendre à l’évidence, Yannis était en train d’impacter avec le plus souvent des novillos provenant d’élevages réputés difficiles, combattus le plus souvent dans la « Valle del Terror », sur les hauteurs de la région de Madrid.
Bref, l’affaire était sérieuse, rien ne lui était servi sur un plateau d’argent et ses triomphes, il était allé les chercher à la sueur de son front ! Avec en définitive, un bilan très positif couronné notamment par une substitution se soldant par l’obtention du très convoité « Zapato de Oro » d’Arnedo et pour son ultime course de la temporada, l’indulto d’un novillo de Cayetano Muñoz. Des triomphes qui ont généré une flatteuse réputation en définitive qui dépasse parfois d’assez loin celle de novilleros considérés au départ comme bien plus prometteurs, ce qui est tout à l’honneur de Yannis…
Avec lui, je suis revenu sur l’analyse de cette trajectoire pas comme les autres, afin d’en savoir un peu plus sur ce qui a constitué ce parcours plutôt paradoxal qui s’annonce à présent encourageant pour l’étape suivante, à condition bien sûr que les empresas le regardent à présent avec un œil différent. Mais mon petit doigt me dit que ce sera le cas l’an prochain et que Yannis, à présent âgé de vingt ans, devrait être l’une des attractions en novillada piquée. Ce qui ne serait que justice, non ?
– Yannis, félicitations pour ta temporada qui t’a placé sous les feux de l’actualité. Avant de l’évoquer, peux-tu nous préciser pourquoi tu as choisi cet apodo ?
– Cet apodo, je l’avais choisi quelques mois avant mon début en novilladas non piquées avec le maestro Richard Milian. Il allait faire l’affiche d’Aignan et on ne savait pas comment m’annoncer, donc on a réfléchi et Richard a pensé à El Adoureño par rapport à l’Adour, le fleuve qui traverse un grand nombre de villes taurines du Sud-Ouest. Ça ne m’a pas déplu et ce nom me suit toujours.
– Etant donné qu’il y a apparemment quelques données fantaisistes sur les publications d’escalafón, quel est ton bilan exact pour 2017 ? Nombre de novilladas, oreilles, rabos, indultos…
– J’ai terminé avec un total de 24 novilladas et j’ai obtenu 43 oreilles et 4 queues avec un indulto, ce qui m’a permis de me hisser à la troisième place de l’escalafón !
– Qui t’apodère et quelles sont les personnes qui t’entourent et te soutiennent ?
– Mon apoderado est l’espagnol Ángel Vaquerizo et c’est Mario Campillo qui me conseille techniquement. Après, il y a un groupe fidèle de 5 ou 6 personnes qui font souvent le déplacement depuis la France pour m’encourager, dont notamment Gérard Ducès, de Nogaro.
– Après ton passage en non piquée puis une parenthèse en 2015, tu es revenu au toreo, mais en t’expatriant en Espagne. Qu’est-ce qui a motivé ton choix ?
– En 2014, j’avais effectué une bonne saison de novillero sans picadors, mais en fin d’année, j’avais décidé à contrecœur de m’éloigner du mundillo. Puis en février 2016, un ami organisateur espagnol de Laurent Legendre nous a proposé d’aller toréer un bolsín à Alba de Tormes. Au début, j’étais un peu sceptique, mais j’ai finalement accepté et cela c’est très bien passé Je me suis qualifié pour la finale et j’avais retrouvé les sensations de torero. Ensuite, on m’a appelé pour toréer un festival avec Óscar Higares à Balmaseda, j ai coupé une queue et c’est depuis ce jour que tout a commencé. C’est là que mon apoderado m’a repéré et il m’a fait toréer dix novilladas non piquées avant mes débuts avec picadors à la fin 2016 face aux Monteviejo. Si je me suis expatrié en Espagne, c’est pour bien me préparer et créer la surprise à mon retour !
– Pour pouvoir t’exprimer, tu as dû affronter la plupart du temps du bétail très sérieux couvrant tous les encastes. Comment t’y es-tu préparé ?
– Oui, ça a été une année difficile parce que j’ai toréé beaucoup de novilladas dans la célèbre Vallée de la Terreur, et là-bas, tout le monde sait que les novilladas sont… des corridas de toros ! J’ai toréé beaucoup de novillos qui pesaient 600kg ! Et quand on va dans ces endroits, je pense qu’il faut être préparé techniquement, physiquement et surtout mentalement parce que dans cette région, en plus des toros très sérieux, le public est très exigeant. Cela arrive souvent qu’à la fin des spectacles, des novilleros se fassent agresser par des aficionados insatisfaits ! Mais cela c’est bien passé pour moi et je suis content d’avoir pu découvrir cette face cachée du toreo que beaucoup d’aficionados n’imaginent même pas !
– Comment analyses-tu le fait d’avoir été totalement occulté par les organisateurs français ?
– C’est une question un peu difficile, mais la seule chose que je peux dire par rapport à ça, c’est qu’on ne m’a pas fait de cadeaux et si je suis là aujourd’hui, je pense que c’est parce que je me le suis gagné…
– Cet ostracisme que tu as subi, l’as-tu ressenti comme une injustice ou est-ce que ça t’a poussé à encore plus te battre pour y arriver ? Ou les deux ?
– Au début de la temporada, je pensais que quelques organisateurs allaient me laisser une chance de montrer de quoi j’étais capable et mon évolution, mais malheureusement, cela n’a pas été le cas. Donc, au début, je ressentais ça un peu comme une injustice. Mais au fil de la saison, beaucoup de Français sont venus me voir, y compris quelques empresarios. Ils ont été impressionnés par mon évolution et m’ont dit que je méritais d’avoir ma place dans les cartels français, donc cela m’a encore plus motivé. Pour dire la vérité, avant le paseo, la seule chose à laquelle je pensais, c’était de triompher pour que le soir ma photo en triomphe figure sur Mundotoro pour faire regretter aux empresas françaises de ne pas m’avoir engagé !
– Quels ont été tes plus beaux souvenirs de la saison ?
– Il y a en plus d’un ! Je vais commencer par Arnedo avec les deux faenas aux novillos d’Escolar Gil qui m’ont permis de remporter le trophée le plus prestigieux des novilleros, le « Zapato de Oro »… Après, la sortie en triomphe de Zamora parce que c’était ma première en tant que novillero avec picadors, qui plus est, dans une arène importante. Ensuite, il y a eu aussi une faena d’un novillo d’Aurelio Hernándo à Villamanta auquel j’ai coupé une queue, une autre à El Barco de Ávila à un très bon novillo de Fuentespino, avec encore la novillada de La Peza. C’était la dernière de ma temporada et je voulais la clôturer le mieux possible. Je pense que cela ne pouvait pas mieux se terminer puisque j’ai coupé une queue à mon premier et indulté mon second novillo de Cayetano Muñoz !
– Et les plus mauvais, s’il y en a ?
– Il y a eu des moments plus difficiles, mais aucun que je qualifierais de mauvais !
– Concernant ton toreo, quels sont tes points forts et ceux que tu dois éventuellement améliorer ?
– Normalement, ça devrait plutôt être aux aficionados de répondre, mais ce que je travaille chaque jour, c’est la profondeur du muletazo et le temple. Et à améliorer, il faut toujours se surpasser et se dire qu’on peut toujours faire mieux !
– Je suppose que comme tout novillero, il t’arrive de penser, ne serait-ce que dans tes plus beaux rêves, à ton alternative… Comment vois-tu les choses ? France ou Espagne, arène, parrain, témoin, toros…
– Je pense que ça traverse l’esprit de tous les novilleros, donc oui, cela m’arrive d’y penser, mais pour le moment, ce n’est pas ma priorité. J’ai une saison très importante qui m’attend et dans l’immédiat, c’est ce qui me préoccupe. L’alternative de mes rêves serait à Nîmes avec El Juli et Sébastien Castella pour combattre des toros de Núñez del Cuvillo !
– Comment envisages-tu la saison suivante en termes de programmation et comment comptes-tu t’y préparer cet hiver ? Ou et avec qui ?
– Je vais me préparer en Espagne avec Mario. On a prévu d’aller dans une salle de sport pour le physique et de s’entraîner de salon pour améliorer le côté technique. Et j ai pas mal de tentaderos qui sont programmés dans le courant de l’hiver.
– Je suppose qu’avec ta montée en puissance, les sollicitations ne manquent pas… Envisages-tu des modifications ou vas-tu conserver les mêmes autour de toi, encadrement comme cuadrilla ?
– Oui, les sollicitations ne manquent pas ! Mais moi, je pense que les personnes qui m’ont accompagné dans les moments difficiles méritent de m’accompagner aussi dans les bons ! Aussi, c’est pour ça que je n’effectuerai aucun changement d’apoderado, ni de cuadrilla.
Evidemment, Torofiesta suivra avec beaucoup d’intérêt la suite des événements concernant ce novillero, en lui souhaitant d’être enfin considéré selon ses propres mérites. Enhorabuena, Yannis, pour ce que tu es parvenu à réaliser au cours de cette temporada, et suerte pour la prochaine qui devrait être celle de ta confirmation et que je te souhaite le plus intense et positive possible !!!
Pour tout savoir sur Yannis « El Adoureño », je vous conseille de consulter son blog : http://www.eladoureno.com/