Malasuerte, avec une épaule démise en plein milieu du gué, ce qui a considérablement limité l’impact d’une saison 2017 qui s’annonçait prometteuse et qui en fin de compte, s’est révélée bien frustrante. Avec de larges circonstances atténuantes, car il est certain qu’Adrien Salenc n’aurait pas dû se contenter d’une 17e place à l’escalafón novilleril avec seulement 13 novilladas. Il était positionné sur une rampe de lancement qui devait logiquement le propulser, si tout se passait bien, vers les premières places. Mais hélas, on connait la suite…

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Souvenons-nous… La cassure a commencé à se produire un soir de juillet lors des Fêtes de la Madeleine à Mont-de-Marsan. Dans un Plumaçon bien garni, en competencia avec ses compañeros Tibo Garcia et Baptiste Cissé pour la novillada de Dos Hermanas, Adrien est reparti avec son épaule droite en vrac. Et ce qui aurait pu être un succès s’est transformée en cauchemar. En effet, le jeune Nîmois venait de se voir diminué par une blessure très handicapante pour un torero, notamment au moment de porter l’estocade ou d’employer le descabello. De là ont commencé ses ennuis et alors que l’on pensait l’affaire réglée après la perte de quelques courses, histoire de bien récupérer, la spectaculaire blessure de Caslasparra début septembre est alors survenue pour en remettre une couche et marquer l’arrêt définitif de sa temporada.

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Une saison qui a connu tout de même quelques succès qu’il ne faut certes pas occulter, mais qui par la force des choses ne s’est pas déroulée comme souhaité, ce qui a considérablement perturbé l’apprentissage d’Adrien. Depuis, son quotidien est passé par des séances de récupération pour retrouver toute son intégrité physique afin de repartir de plus belle dès le début de la temporada 2018. Avec apparemment, un moral retrouvé.

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Rencontré à Nîmes durant les fêtes, Adrien s’est totalement livré pour faire le point sur ses blessures, revenant sur sa saison et surtout, faisant part de sa stratégie pour regagner en 2018 le terrain perdu. Avec les ganas qui vont avec, évidemment…  

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« Si on active la machine à remonter le temps, on va tomber sur Samadet comme point de départ. Je n’ai toréé que treize novilladas, et pour cause, alors que j’aurais pu en faire à peu près le double, ce qui m’aurait permis d’être bien mieux classé. Mais ce sont les aléas des toros… Ce que je retiens surtout, c’est mon mois d’avril au cours duquel j’ai toréé cinq novilladas. J’ai un grand souvenir de Garlin avec les Pedraza de Yeltes, où ça n’a pas été facile, mais j’étais satisfait de ma course, de celles qui te servent pour progresser.

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Mais le jour phare de ce mois, ça a été la novillada d’Arles où j’ai coupé trois oreilles devant des novillos de Los Galos et Gallon. Forcément une grande sensation avec de la responsabilité, mais au bout, la récompense. Cette novillada m’a permis d’avancer, dans l’escalafón, mais aussi par le fait de faire parler.

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La semaine qui a suivi, j’ai fait ma présentation à Madrid, une plaza de grande responsabilité où il vaut mieux arriver fin prêt ! Je peux dire que c’est très compliqué et ça m’a d’ailleurs valu quelques nuits d’insomnies les semaines précédentes !!! On a beau savoir comment ça s’y passe, et habitant Madrid, je suis encore mieux placé pour m’en rendre compte, on peut dire que la réputation de Las Ventas n’est pas usurpée ! Les complications viennent à la fois des exigences d’un public qui te pousse dans tes retranchements, et bien sûr des toros que l’on doit lidier. Je dis bien toros… car les novillos n’en ont que le nom !!!

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Je me suis donc présenté avec une novillada de Los Chospes en laquelle on avait pas mal d’espoir, mais en définitive, elle a manqué de charge et de caste. Une novillada par ailleurs très âpre, mes deux compañeros – Mario Palacios et Miguel Ángel Pacheco – recevant un grave coup de corne. Je me suis donc retrouvé tout seul dans cette grande arène pour finir le travail  en tuant quatre novillos le jour de ma présentation à Madrid ! Voilà bien quelque chose que ne suis pas près d’oublier !!! Tu arrives plein d’illusion, tu rêves de puerta grande, de sortir du rang, d’une presse élogieuse, de retombées, et finalement, tu te rends compte que la réalité est tout autre et que triompher dans cette arène nécessite de réunir beaucoup de conditions…

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Si pour cette première, j’avais été plutôt tétanisé, je suis tout de même retourné deux fois à Las Ventas sur la lancée, moins contracté car j’avais alors mieux pris la dimension de cette arène. La première fois, pour la première course du Certamen International des Novilladas Nocturnes, je suis passé près de l’oreille, saluant les deux fois. J’y suis encore allé pour disputer la finale le 12 août où j’ai toréé des novillos d’Ana Romero. Ce fut plus compliqué, notamment avec les aciers. Mais tout ça avait constitué une bonne expérience…

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Pour revenir encore sur ma temporada, je dois dire que mon talon d’Achille a été l’épée, et encore plus après ma première blessure de Mont-de-Marsan. Mais avant, j’avais déjà du mal à me régler pour reprendre le sitio, comme c’était le cas l’année précédente où je ne rencontrais pas de problèmes dans ce domaine. Pratiquement aucun toro ne m’échappait alors que là, j’ai dû analyser mon geste pour essayer de trouver les causes et y remédier, mais c’est très difficile. En fait, ce n’était plus régulier, il y a eu des novilladas où je n’arrivais plus à bien tuer, je ne faisais que pincher, et d’autres où ça se passait bien. Mais évidemment, j’aurais préféré que ce soit le cas à chaque fois, notamment à Madrid ! Car rien n’a changé, si on veut être récompensé, il faut être régulier à l’épée. Globalement, j’étais toujours au niveau, mais les résultats chiffrés n’étaient pas vraiment là et on sait bien qu’aujourd’hui, on nous demande de couper des oreilles et de triompher…

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Puis est arrivée la novillada de Mont de Marsan…. Avec le souvenir d’une grande souffrance… Quand je suis arrivé au Plumaçon, je n’avais rien du tout. Mon épaule fonctionnait normalement et il n’y avait pas eu de précédent. Je suis arrivé en pleine forme, pour triompher. Mais à mon premier novillo, j’ai dû prendre le descabello et là, le novillo a levé la tête et m’a donné un coup de corne qui m’a retourné le bras dans le choc, c’est allé très vite, l’épaule s’est déboitée et le problème, c’est qu’il fallait encore que je recommence si je ne voulais pas le laisser vivant !

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Inutile de dire que j’ai vu les étoiles !!! J’étais à deux doigts de le laisser vivant, c’était un véritable supplice. Tibo me l’a remise en place une première fois, mais le problème, c’est qu’après, à chaque coup de descabello, elle ressortait ! Je n’avais plus de forces, je l’ai tué avec l’énergie du désespoir avant de filer à l’infirmerie…

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Là, les médecins m’ont fortement conseillé de ne pas retourner dans le ruedo, ils me l’ont remise, et contre l’avis de tout le monde, corps médical comme apoderados, je suis revenu pour lidier mon second novillo ! Je ne voulais pas laisser tomber et en outre, la faena s’est bien passée, mais hélas, il m’a fallu reprendre le descabello ! Je ne l’avais pratiquement pas employé depuis le début de la saison, et là, avec mon épaule qui lâchait, il m’a fallu le reprendre. On aurait dit que c’était fait exprès !!! Et évidemment, mon épaule est à nouveau ressortie ! J’ai alors vraiment compris qu’il y avait un sérieux problème. Je devais toréer le lendemain à Orthez, mais évidemment, j’ai dû me résoudre à baisser momentanément pavillon…

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J’ai alors arrêté jusqu’au 12 août, donc environ trois semaines, jusqu’à la finale du Certamen à Las Ventas. Evidemment, j’ai passé le plus clair de mon temps dans des cabinets médicaux et chez le kiné. La thérapie, après une période de repos et d’immobilisation, c’était beaucoup de travail au quotidien. Il fallait que les choses se remettent en place à leur rythme, sans les précipiter, au risque d’aggraver le mal. Mais bien sûr, avec mon tempérament et mon aficion, je n’ai pas vraiment respecté les délais car je ne voulais pas perdre la finale de Madrid !

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A Las Ventas, j’ai pu tuer, mais franchement, j’ai quand-même ressenti une douleur. Je n’ai jamais voulu d’infiltrations par rapport aux conséquences. J’ai ensuite coupé une oreille à Béziers où je sentais que je reprenais le dessus, puis à Bayonne avant ce fameux déplacement à Calasparra où mon novillo m’a fracassé contre les planches. C’est allé très vite, j’ai eu bien sûr très peur et je pense que les gens aussi, et bien sûr, adieu mon épaule ! Là, même si elle était fragilisée, elle était en voie de se reconstruire. Je me souviens de tout, c’est allé très vite, mais ça aurait pu être tragique. Comme disent les espagnols : « Volví a nacer ! » (que l’on pourrait traduire par « je suis né une deuxième fois »)… Du coup, il fallait trancher dans le vif !

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Je ne pouvais plus reculer, j’étais effondré en pensant à toutes les novilladas que je venais de perdre, autant en France qu’en Espagne, avec un moral assez en berne, relation de cause à effet. On a beau être réconforté par les proches, les amis, les professionnels, on reste quelque part quand même seul ! Bien sûr que ça aide, mais personne ne peut vraiment savoir ce que tu ressens, un ensemble de sensations qui dépassent la seule douleur, l’impression par exemple de ne pas parvenir à ton but en perdant tant d’opportunités alors que j’avais toute tracée une temporada qui devait en principe me hisser vers les premières marches en tant que novillero. Et là, rapidement, tout capotait.

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Après Calasparra, il m’a fallu de nouveau rester au calme, sans trop bouger, et après avoir passé plusieurs examens médicaux, j’ai pris la décision de me faire opérer de l’épaule droite à Madrid. Comme il y a parfois de curieux hasards, j’ai eu la chance de tomber sur un chirurgien orthopédique qui est aussi ganadero, de l’UCTL, Juan Román García Sorando !!! Franchement, ça ne s’invente pas… Un autre processus s’est mis en place et depuis, j’ai retrouvé en grande partie l’amplitude du mouvement grâce aux mouvements que je fais quotidiennement et qu’en principe, je devrai exécuter toute ma vie !

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Il ne faut pas forcer la machine, mais franchement, j’avais envie de retrouver du bétail. Je n’en pouvais plus de ne pas pouvoir toréer et récemment, j’ai appelé Juan Bautista pour lui demander si par hasard… J’ai donc pu toréer  un toro de cinq ans de Yonnet, mais sans porter l’épée. Il ne faut pas brûler les étapes et ça, je me l’interdis encore tant que tout ne sera pas complètement consolidé. D’ailleurs, je n’ai pas repris le travail au carretón, j’attends encore un petit mois avant de commencer. Sinon, j’ai repris mon entrainement normalement en commençant à penser à 2018…

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La saison prochaine, bien sûr qu’on en parle déjà car les choses se préparent à l’avance. La première chose que je peux dire, c’est que mon entourage ne bougera pas, avec toujours à la baguette, comme co-apoderados, Ángel Gómez Escorial et Olivier Baratchart, la cuadrilla restant aussi la même.  Il y a entre nous une bonne entente et on discute sur tous les aspects de mon futur, y compris l’alternative ! Cela dit, 2018 devrait être avant tout pour moi une saison de consolidation. Il me manque encore des novilladas, on ne va pas précipiter les choses, il y encore pas mal d’arènes où je n’ai pas mis les pieds, mais bon, si tout se passe bien, disons qu’on y pense…

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En fait, ce que je voudrais, c’est faire une temporada fournie, en passant par la plupart des arènes importantes pour franchir encore un palier, consolider mes acquis, afin par la suite de me lancer dans le grand bain… Les débuts de temporadas sont toujours compliqués, mais pour ce que j’en sais, les choses s’annoncent plutôt bien en ce qui me concerne et l’on s’achemine vers une saison bien compacte. Beaucoup de novilladas se donnent assez tard, raison de plus pour tenter d’accrocher les premiers wagons ! Mais en définitive, ce sera à moi de saisir les opportunités pour aller de l’avant, en restituant tout ce que j’ai appris et en tenant compte de ce que ce contretemps m’a fait gagner en maturité. D’ailleurs, à présent, j’ai l’impression que j’aborde les choses différemment… Mais dans le bon sens du terme !

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Pour revenir sur les perspectives d’alternative, c’est toujours très délicat de choisir le bon moment et le bon endroit car ça dépend de beaucoup de choses… En ce qui me concerne, après ce qui m’est arrivé, tout dépendra de ma reprise et de mon potentiel. Maintenant, il est vrai que l’on ne peut pas non plus s’attarder outre mesure dans l’apprentissage. Sinon, entre nous, le problème, ce n’est pas vraiment de prendre l’alternative, mais bel et bien de pouvoir continuer après ! Ce qui peut se traduire par le fait que davantage que la cérémonie en elle-même, il faut surtout s’employer à préparer la suite, sinon ça reste une fin en soi et c’est forcément réducteur. Si je peux choisir, je préfèrerais la prendre en France. (J’ai alors fait remarquer à Adrien qu’il était Nîmois, ce qui a déclenché spontanément chez lui un fort éclat de rire !!!).

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El Juli ? De par ses fonctions, il est très occupé, mais toute sa famille m’a aussi soutenu dans les moments difficiles. Quant au maestro, je tiens à révéler que cette année, pour mes débuts à Madrid, alors que je n’avais pas de nouveau costume pour ma présentation dans cette arène, il m’a offert un des siens, le bleu et or. Un bien joli geste, non ? »

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Cette rencontre m’a conforté sur la volonté d’Adrien de reprendre en se donnant à fond. On dit que le temps perdu ne se rattrape plus, mais compte tenu des circonstances défavorables qui l’ont un temps accablé, en cette période des vœux, on ne peut que lui souhaiter que la chance l’accompagne et que la corne l’épargne en 2018… jusqu’à la consécration ! Suerte, Adrien !!!

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