Longtemps son élève au CFT, Rafi Raucoule entre désormais de plain pied dans la catégorie des novilleros avec picadors. Un passage qui va se concrétiser début 2018 par notamment des engagements dans quelques-unes de nos arènes les plus importantes. C’est pourquoi Rafi a pris en quelque sorte le toro par les cornes en allant se préparer au Campo Charro pour assumer au mieux ses responsabilités dans cette nouvelle catégorie en étant fin prêt dès les premiers rendez-vous. De retour à Nîmes pour les fêtes, je l’ai rencontré afin de faire le point à l’aube de ce passage dans la classe supérieure. Avec un premier éclaircissement qui me paraissait nécessaire, celui de son apodo, car dans les reseñas passées, on pouvait lire un peu de tout. Alors, Rafi Raucoule, Rafi, El Rafi ?…

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« Dans les toros et même au dehors, on m’a toujours appelé Rafi, je voudrais donc qu’à présent, en tant que novillero en piquée, il soit mentionné « El Rafi » sur les affiches…

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Je suis entré dans le monde des toros grâce à mon grand-père !). A l’époque, c’est lui qui avait remanié les torils et je venais autant que possible le voir aux arènes, notamment aux ferias, bien sûr. C’est comme ça que j’ai découvert les toros et depuis tout petit, j’étais imprégné de ce milieu et j’ai alors demandé à entrer dans une école taurine. On me disait  alors que ce n’était pas possible, qu’il fallait avoir au moins neuf ans, et quand j’ai eu neuf ans… qu’il fallait en avoir douze !!! Bref, j’ai compris qu’on me promenait, mais j’ai insisté et finalement, ma grand-mère a fait les papiers et je suis entré au CTN dirigé par Brigitte Dubois, avec Camille Juan pour nous entrainer.

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Puis Camille a basculé au CFT de Christian Lesur et avec notamment Thomas Ubeda et Solal, on l’a suivi. J’avais environ onze ans et depuis, j’ai toujours été au CFT où on a continué à nous enseigner les bases, puis Patrick est arrivé, plus tard secondé par Juan, et l’on ne s’est plus quittés ! Il nous a tout appris sur le concept et les valeurs du toreo, on a mangé à sa table et dormi chez lui de nombreuses fois, on a fait beaucoup de voyages… ce qui a bien sûr renforcé nos liens. On avait une totale confiance en lui, c’était vraiment notre référent. Puis les années ont passé, j’ai grandi et progressé et après les sans picadors, il était temps pour moi d’envisager mon passage dans la catégorie supérieure…

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On en parlait depuis des mois, on savait que c’était la dernière année sans picadors, et quelque part, ça me faisait aussi énormément de bien de quitter l’école car j’avais besoin de prendre mon envol, mes responsabilités, en quittant Nîmes et aller vivre en Espagne pour m’enrichir au niveau tauromachique en voyant et  apprenant de nouvelles choses.

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Au CFT, j’ai vécu durant de nombreuses années pas mal de belles choses, c’est là que j’ai commencé à devenir torero, mais dans la vie il y a des étapes, et c’était pour moi le moment de voler de mes propres ailes, sans pour autant me lâcher des deux mains car le passage en piquée nécessite d’avoir quelqu’un de confiance à ses côtés. Pour moi, ça ne pouvait être que Patrick. Au début, on n’en parlait pas, j’étais parti en Espagne dans l’optique de me gagner les choses, d’être le mieux possible au campo et de nouer des relations  avec des gens là-bas.

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Mais avant de partir, Patrick m’a proposé de me donner en coup de mains en France et c’est avec plaisir que j’ai accepté car comme je l’ai déjà évoqué, j’ai une entière confiance en lui et pour m’aider à prendre mon envol en novillada piquée, ça ne pouvait pas être mieux ! On se connait bien, on peut travailler de façon positive, je sais qu’il me protègera et si un jour je dois aller vers autre chose selon la tournure de ma carrière, il m’a très bien dit que si je trouvais quelqu’un susceptible de m’ouvrir encore plus de portes, il en serait très heureux pour moi ! De toute façon, ça restera toujours mon maestro, on va essayer de faire quelque chose de bien ensemble et pour moi, ça représente un côté rassurant, notre relation étant professionnelle, mais aussi affective, avec bien sûr ses exigences.

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A Salamanque, je suis inscrit à l’école taurine dirigée par José Ignacio Sánchez, je m’entraine le lundi, mercredi et vendredi de 16h à 20h, sinon je m’entraine avec David Sánchez, le frère de Juan del Álamo, et son fils qui est à l’école taurine avec moi. Tous les matins, je pars courir avec David, puis on s’entraîne de salon dans la plaza de toros de Salamanca ou dans un petit village tout proche quand le temps est pluvieux. On rentre, on mange puis on se repose une petite heure avant de retourner courir puis de s’entrainer encore de salon, soit avec l’école, soit les autres jours au bord du fleuve où vont aussi d’autres toreros de la province, comme Jesús Duque et Sebastián Ritter…

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Ces entrainements intensifs m’apportent beaucoup, je sens que je progresse, j’ai aussi l’occasion de faire pas mal de campo avec l’école, mais aussi à partir de plans plus personnels, comme chez Victorino Martín ou Pablo Mayoral, des expériences exigeantes, certes, mais très positives.

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Je travaille toutes les suertes, mais il y a des points plus particuliers sur lesquels je dois insister, comme l’épée. Pour ma première année en non piquée, je n’avais pas de problème, mais l’an dernier, je me suis mis à pincher des faenas importantes, ce qui m’a coûté quelques oreilles. C’est la sanction immédiate et c’est d’autant plus frustrant quand tu as conscience d’avoir été bien. Et c’est en cela que je m’attache à perfectionner mon geste.

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Sur mes deux années de non piquées, j’ai calculé que j’avais participé à 38 novilladas en coupant 51 oreilles et 2 queues ! C’est un bilan satisfaisant, certes, mais j’ai tendance à plutôt me focaliser sur les points négatifs car c’est comme ça que l’on peut encore progresser, plutôt que de se contenter de l’actif en s’endormant sur ses lauriers ! Ça peut te ronger des fois un peu la vie, mais je pense qu’il n’y a que ce parti pris d’exigence qui peut te faire avancer…

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Les banderilles ? Je les pose depuis longtemps car depuis que je suis en becerrada, je les ai pratiquement tous banderillés ! J’estime que quand tu es novillero, c’est un apprentissage fondamental. D’ailleurs, dans certains cas, ça peut être professionnellement une solution de repli des plus dignes, on en a quelques exemples récents chez nous. Bien sûr, ce n’est pas ce que je recherche, mais en tant que novillero, il faut apporter de la fraîcheur, de l’alegría, et le second tercio entre dans ce cadre. C’est une suerte qui me plait, je le fais parce que je pense que je dois le faire, ça n’a pas toujours été pour autant une partie de plaisir, mais il faut aussi tenir compte du public qui globalement aime bien ça. Donc je vais continuer dans le même état d’esprit, ce qui ne signifie pas que je le ferai toujours car je ne voudrais pas être enfermé dans un créneau…

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Mon toreo est d’essence plutôt classique, artistique, s’appuyant sur les fondamentaux. Des modèles ? Talavante, Morante… Ce sont des toreros différents, tout comme chez les plus jeunes Ginés Marín, bref des maestros qui apportent une touche d’art à chaque fois que leur adversaire le leur permet. Avec une note de tremendisme pour apporter encore plus de fraîcheur à leur toreo, et ça, évidemment, ça me plait ! Ce n’est pas chez moi une volonté de copier, mais plutôt celle de me rapprocher de cette tendance, avec l’ajout d’adornos, de « pinceladas » artistiques. Tout dépend aussi des conditions du toro, il faut en tenir compte et ne pas vouloir faire pareil quel qu’il soit car il est des cas où ce n’est pas possible. Je vais essayer de donner au public ce qu’il attend, tout en restant moi-même, mais en essayant de m’arrimer pour que les aficionados comprennent que j’ai essayé de donner le maximum.

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La pique ? C’est la plus grande nouveauté, je travaille beaucoup le placement au cheval, quant au dosage, il n’y a que l’expérience qui peut t’amener à affiner ton jugement. Je dois donc faire confiance aussi aux professionnels qui m’entourent pour forger par là-même ma propre expérience.

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Ma stratégie pour 2018 ? Pour l’instant, on va essayer de toréer en France parce que l’on a la possibilité d’entrer dans quelques arènes de renom. Il faudra saisir notre chance, le but étant de couper des oreilles pour aller encore plus de l’avant. D’ailleurs, on pense déjà à 2019 qui devrait être l’année de la consolidation menant au passage de matador de toros. Pour moi, l’alternative n’est pas une fin en soi. Mon rêve, c’est d’être figura del toreo, et ça, ce n’est pas un jour où tu peux briller, ce qui n’a qu’une valeur relative si ça s’arrête le lendemain ! Donc, ce qui me préoccupe le plus, c’est ce qui suivra ! L’alternative, c’est certainement un très beau jour à vivre, mais moi, je ne veux pas m’arrêter là, et je compte bien par la suite en passer d’autres, de beaux jours dans une arène !!! Bref, ce qui m’importe, ce n’est pas une corrida particulière, puis plus rien, mais bien de toréer dans la continuité des temporadas… »

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L’avis de son mentor Patrick Varin

« Je ne le connaissais pas encore, ils étaient là, devant moi, tous ceux de sa génération, et alors qu’il n’avait que douze ans,  j’ai eu tout de suite l’impression d’avoir en face de moi un gamin qui était fou de toros et c’est ce qui m’a plu en premier chez lui. Moi, je suis aussi fou de toros, et c’est comme ça qu’il faut être…

Il n’y a rien de plus facile que de prendre un gamin et le faire bien toréer ! Bien sûr, certains auront plus de facilités et de dispositions que d’autres, mais de là à savoir qui va arriver le plus loin, ce n’est pas évident ! Tu en as qui auront plus de sensibilité, de profondeur, de technique, d’autres seront plus malins, et concernant Rafi, je lui ai vu rapidement une certaine intelligence face aux toros. Ce qui n’est pas forcément un bon point au début ! J’ai la réputation d’être très exigeant, mais pendant tout son apprentissage, je n’ai rien laissé passer. Il m’est même arrivé de le faire pleurer, ça ne m’a pas amusé et pour que les larmes coulent chez Rafi, c’est vraiment qu’il était touché dans son orgueil ! Mais ce que j’ai aimé, c’est sa réaction. Il n’a rien dit, il a enregistré, et après, c’était parti…

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Il y a une chose qui me plait en Rafi, c’est que je ne sais pas jusqu’où il peut aller ! Je ne connais pas ses limites, et ça, c’est ce qui est intéressant ! C’est avec lui que j’ai passé le plus le temps, notamment lors de voyages en Espagne où l’on passait des heures à discuter et l’an passé, en fin de saison, moi je n’osais pas lui en parler et lui n’osait pas m’en parler ! On évoquait son avenir, des personnes qui éventuellement pourraient l’apodérer, il n’était pas contre mais je sentais qu’il n’accrochait pas non plus totalement et il est arrivé un moment où les empresas m’appelaient, comme si de fait, j’étais son apoderado !

Du coup, cet automne, je le lui ai dit et je lui ai alors demandé ce que l’on faisait… Spontanément, il m’a dit que oui, il voulait que ce soit moi qui m’occupe de lui ! Franchement, je ne me sens pas vraiment apoderado, ce n’est pas ma vocation, je me vois davantage dans une relation de conseiller technique, et quelque part, on a des liens autres que professionnels. Nous avons une relation basée sur la confiance. Je suis très satisfait de cette relation duelle et ce qui est très important, c’est sa capacité à réagir, à corriger le tir. Bref, on se comprend sans avoir besoin de se dire les choses dix fois !

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Pour moi, ce sera une saison de transition au cours de laquelle il y aura toutefois quelques novilladas fortes et de responsabilité. Certaines sont déjà conclues, mais je n’en dirai pas plus dans la mesure où les empresas n’ont pas encore dévoilé leurs cartels. Je ne suis pas pour lui mettre une pression terrible, on va toréer, on va d’abord y aller pour s’occuper du toro ! Dans cette optique, si on triomphe, ce sera la cerise sur le gâteau.

Rafi, il ne faut pas le voir avec des vaches en tienta, mais avec le toro. Je suis persuadé qu’avec son volume, il va donner encore plus d’importance. Je veux avant tout qu’il attrape son rythme, c’est pour ça que courant mars, on va s’enfermer avec quelques toros forts. A ma fiesta campera, alors qu’il ne s’y attendait pas, je lui ai fait tuer mon toro de Riboulet d’origine Guardiola et ça ne lui a pas posé problème. Il faut donc maintenant qu’il attrape ce rythme, qui est différent de celui du becerro. Mais je sais que question courage, il n’y a pas de problème… Il lui reste juste à apprendre la musique du toro ! »

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En cette période de vœux, ça ne pouvait pas mieux tomber pour souhaiter à cette pareja de nombreux succès pour 2018… Suerte Rafi ! Suerte Patrick !