Avec des triomphes chaque jour, une plus large diversité dans le choix du bétail et une météo qui s’était mise à l’unisson sans nous infliger comme trop souvent le coup de balai mistralien, il est évident que tous ces facteurs conjugués ont contribué à rendre des plus satisfaits Bernard Marsella, la cheville ouvrière de l’organisation qui est revenu en détails sur la préparation et le déroulement de cette feria…
« Concernant la Feria 2018, on est satisfait pour plusieurs raisons, d’abord parce qu’il y a eu énormément de monde en ville, car la feria, ce n’est pas que les corridas, c’est un tout, et sur le plan économique, les retombées ont été sans précédent.Nous avons eu une météo clémente, avec seulement un peu de vent le dimanche, mais en général, on peut dire qu’il a fait très beau. Outre le monde en ville, nous avons enregistré de belles entrées aux arènes, dès l’ouverture d’ailleurs, et ce n’est pas évident d’emmener les gens dès le vendredi. Les arènes ont été quasiment pleines le samedi avec une demie le matin pour la novillada, on a affiché le « no hay billetes » le dimanche après-midi après trois quarts le matin, ce qui globalement représente à peu près 13.000 personnes pour les cinq courses. C’est beaucoup plus que l’an passé, alors est-ce que le fait d’avoir davantage varié la programmation en proposant des affiches pour tous les goûts a apporté une fraicheur et une crédibilité qui semble évidente ? Je pense que oui.
Si on reprend les affiches dans l’ordre chronologique, on a démarré par une affiche à connotation torista avec les Adolfo Martín. C’était la deuxième fois seulement qu’Enrique Ponce les affrontait, les liens tissés avec le maestro et l’historique d’Istres ont fait que ce projet est né très tôt et qu’il n’a pas hésité à l’accepter !
Il aime beaucoup cette ganadería, il y est allé plusieurs fois, y compris ensemble, pour voir quel type de toros pourrait aller à Istres, et quand la commission taurine a découvert le lot, elle a été impressionnée favorablement car il était bien dans le type. Ce ne sont pas des toros énormes, mais il y en a eu quand même quatre très armés et il est en outre surprenant qu’une figura accepte de se frotter à ce type de ganadería. Je sais qu’il y avait des réticences de la part de certaines aficionados qui prétendaient que les Adolfo ne seraient pas bien présentés, mais par exemple, pour cette corrida que l’on a appelée celle du geste, le second toro d’Enrique Ponce était très armé, ce qui ne l’a pas empêché de lui prendre le rythme, la distance, et dès le premier ,jour, nous avons eu droit à un chef-d’œuvre de sa part.
Si à cela on ajoute la grande tarde de Paco Ureña qui a cuajé le second toro, on peut dire que dès le vendredi, on a eu un résultat artistique très satisfaisant, même si Curro Díaz a eu plus de mal à s’exprimer devant les deux toros de moindre option. C’était un début rêvé parce qu’il comportait aussi un gros risque. Il y a eu dès le vendredi une ambiance aux arènes, et comme je l’ai déjà dit, les ouvertures de ferias sont toujours un peu délicates car le public n’est pas encore complètement dedans. Aussi, avoir d’emblée un tel résultat artistique signifiait que la feria partait sur de bons rails…
Le samedi matin, Jean-Marie Raymond a sorti une très bonne novillada, j’étais ravi pour lui car c’est quelqu’un qui fait beaucoup d’efforts pour mener sa ganadería de la meilleure des façons.
Sa novillada a ravi tout le monde, Adrien Salenc a démontré qu’il était bien revenu et cette course lui a donné une impulsion pour aller de l’avant. Adrien a prouvé que ça pouvait être le prochain matador de toros français suscitant de l’intérêt…
Après, on a eu aussi Cristian Pérez, ce novillero espagnol qu’on avait vu à l’époque en non piquée et qui avait fait la grève de la faim à Albacete. Quand on le voit toréer, on comprend cette envie qui l’avait poussé à faire cette grève, c’est beaucoup de générosité, il est allé deux fois à l’infirmerie. Il y a eu pas mal d’émotion et quand il a coupé les deux oreilles, ça représentait beaucoup pour lui car il a très peu de contrats. Il a pris ses oreilles en pleurant, et ça voulait tout dire… Pour Vincent Perez, ça constituait un gros challenge, puisque c’était le local qui débutait avec chevaux. Il a touché un bon lot et disons qu’il s’en est sorti avec les honneurs. En fin de compte, avec deux sorties a hombros et le salut du mayoral, il y avait de quoi être satisfait, aussi pour l’entrée car il ne faut pas oublier qu’à la même heure, nous étions en concurrence avec l’équipe de France qui disputait en Russie son premier match de qualification lors du Mondial de Foot !
L’après-midi, deuxième corrida à essence torista avec le triomphe de Juan Leal qui était venu remplacer l’infortuné Manolo Vanegas… C’était un gros pari pour nous, j’ai été pas mal critiqué aussi pour ce nouveau virage donné à la feria, mais on ne pouvait plus se restreindre au seul caractère torerista. Cette corrida de Valverde a été un gros challenge, nous avons avec Jean-Luc Couturier un éleveur qui ne vit que pour ça, qui a fait d’énormes sacrifices et qui a investi de gros moyens et toute sa passion au service de la tauromachie. C’est formidable d’avoir aux portes d’Istres une telle ganadería avec ces deux fers, et la grande satisfaction de cette corrida, concernant hélas la tragédie de Manolo Vanegas, c’est bien que toute l’Espagne a appelé ! La liste est très longue, il y a eu en effet beaucoup de demandes, mais il aurait été injuste de ne pas engager Juan Leal qui déjà marque des points d’une temporada sur l’autre.
Je l’avais vu à Nîmes où il avait toréé les Pablo Romero et où il m’avait impressionné par son courage, sa détermination et son ambition… Il a été le grand triomphateur de cette journée face à un lot qui a donné du fil à retordre aux toreros, mais c’est ce que recherche le public qui vient voir ce style de corridas. Donc, pari gagné pour Jean-Luc Couturier, et quand on voit le courage et la folie de Juan Leal qui a l’ambition de devenir une grande vedette, on ne peut que s’incliner. En tant qu’organisateur, le plus important, c’est bien de voir les gens satisfaits à la sortie, c’est ce qui me touche le plus, et ça a été encore le cas pour cette corrida. Morenito a coupé une oreille, la déception venant de Pepe Moral, pourtant bon torero, mais pour pouvoir triompher devant ce genre de toros, il faut amener davantage de choses que la technique et le classicisme !
S’il n’y a pas à un moment donné ce brin de folie, comme Juan a été capable de le faire, on peut passer à côté…
Le dimanche matin, on se rend compte que l’on a des difficultés à mobiliser le public, peut-être à cause de la chaleur, je ne sais pas. Il y avait un cartel de qualité et la grande satisfaction pour nous est venue du lot de Jandilla. Il y a eu quatre toros très intéressants, avec de la mobilité, des détails d’Antonio Ferrera, un grand Sébastien Castella qui reprenait à Istres après avoir triomphé à Madrid et qui était encore diminué par les blessures de Las Ventas, mais qui a pris plaisir à toréer au Palio. Quant à l’espoir mexicain Luis David Adame, c’est un gamin complet. D’habitude, il ne banderille pas, alors, allez savoir pourquoi il l’a fait avec ses deux toros à Istres… Il y a un climat qui s’instaure dans ces arènes, il les a mises à l’envers à la cape, il a fait des quites magnifiques, il a été bien à la muleta et il s’est tellement engagé pour tuer qu’il a pris un coup de corne… C’est le premier matador qui inaugure l’infirmerie d’Istres avec deux trajectoires sérieuses ! Luis David s’est investi à fond, et en définitive, là aussi, les gens sont sortis ravis des arènes.
A propos de l’infirmerie, je tiens à préciser que nous l’avions consolidée au niveau des équipements et du personnel. Il y avait deux chirurgiens vasculaires, un chirurgien orthopédique, deux anesthésistes, deux infirmières, et à la clinique qui se trouve à trois minutes, il y avait aussi un chirurgien de permanence ! Donc, je pense que toutes les précautions avaient été prises, surtout par rapport aux espagnols qui doutent de notre système et nous tenions à ce qu’ils soient davantage rassurés. Nous avons eu un blessé, et la satisfaction est venue du chirurgien des arènes de Madrid, Máximo García Padrós, qui a exploré la blessure d’Adame et qui a confirmé le diagnostic de ses homologues français ! La cornada était profonde avec deux trajectoires, dont l’une s’est arrêtée à trois centimètres de la fémorale, deux drains lui ont été posés et Luis David est reparti totalement rassuré…
Enrique Ponce ? On peut dire qu’il est devenu l’enfant chéri d’Istres, il doublait dans cette feria après avoir fait le geste d’affronter les Adolfo pour la clôturer dans un autre genre. On peut dire aujourd’hui qu’il y a deux idoles à Istres : Enrique Ponce et Juan Bautista car ces deux toreros ont donné beaucoup de bonheur à l’aficion istréenne depuis plusieurs années, ponctuant leur participation de triomphes qui ont marqué l’histoire de la tauromachie à Istres, et plus globalement, en France !
On retrouvait ces deux maestros comme piliers de ce cartel, avec Ginés Marín, un jeune torero en devenir. Cette corrida a peut-être correspondu au lot qui a le moins bien fonctionné, hormis celui de Jean-Baptiste qui a eu les deux meilleurs et qui évidemment, n’est pas passé à côté. Quant à Enrique Ponce, on a vu qu’avec un toro en demi-teinte, il est arrivé à faire quelque chose et à envoûter les gens ! Je crois que c’est un des rares toreros aujourd’hui à être capable de donner une dimension à une faena alors qu’on ne miserait pas un centime sur les qualités de son opposant ! En revanche, j’ai été fortement déçu en ce qui concerne quelques décisions du palco lors de la corrida de clôture qui ont gâché et faussé le bon déroulement de cette course par des récompenses excessives et le changement d’un toro qui ne s’imposait pas aussi rapidement !
Mais en définitive, la Feria 2018 reste un bon cru, nous avons eu un bon pourcentage de toros qui ont embesti, c’est en cela que nous avons pu avoir un tel résultat artistique. Pour ma douzième année en direct, comme je le souligne souvent, c’est très important de pouvoir continuer à motiver par ces résultats positifs les décisions et l’ambition du maire, François Bernardini. C’est lui le détonateur de cette belle aventur, il pérennise la tauromachie de manière exceptionnelle à Istres et il continue de me faire confiance. Allez trouver meilleure motivation !!! »