El Cordobés, le chien de Navalón…

 

Alfonso Navalón ayant appris qu’«El Cordobés» avait donné son nom à une tête de toro naturalisée et exposée dans le salon de son hacienda de la Sierra Morena lui répondit en envoyant du lourd dans la chronique reprise ci-dessous :

 

Tengo un perro llamado El Cordobés

 

«Célèbre, courageux et arrogant Manuel Benítez Pérez, idole de l’Espagne sous-développée et glorieux produit d’exportation du marché du typique. Deux points à la ligne :

 

(¿Sabes Manolo? siempre conviene hacer dos puntos y aparte después de una dedicatoria sentida).

 

J’ai lu dans les journaux que tu avais donné mon nom à la tête naturalisée d’un de ces perritoros que tu tues pour la plus grande gloire de l’art taurin. Eh bien, figure toi que ton geste ne m’a pas déplu et quand on t’a demandé si mon nom figurant sur la plaque de cuivre sous la tête naturalisée n’allait pas me mettre en colère et que tu as répondu « Au contraire, peut-être qu’il en sera flatté », eh bien, figure toi que tu as eu raison!

 

Je suis en effet enchanté de savoir que tu honores ma personne au point de l’héberger dans ton intimité et flatté que tu aies donné mon nom à l’une des choses que tu chéris, ce que je comprends aisément dans la mesure où tout un chacun souhaiterait avoir ce qu’il admire chez les autres. Aussi il est logique que tu admires l’honnêteté d’un homme qui, il y a plusieurs années, a refusé le chèque en blanc que lui proposait ton beau-frère Juan Antonio Insúa et qui, malgré les menaces et les insultes, continue d’écrire que tu n’es qu’un clown habillé de lumières.

 

Tu as pour habitude de museler les gens avec quelques milliers de duros afin qu’ils disent que tu es le meilleur au monde ; en fait ton entourage est là uniquement pour prendre un peu de ton argent. J’aurais pu moi aussi encaisser plusieurs de ces millions que tu m’aurais d’ailleurs bien volontiers donnés, si ce n’est que je ne mange pas de ce pain-là et que celui que mangent mes filles est uniquement pétri à la sueur de mon salaire.

 

No hay ni un céntimo tuyo et j’imagine que ce qui est l’une des rares choses que tu n’aies pas pu acheter en ce monde a du t’inspirer un immense respect. En cambio a ti te alquila cualquier empresario por un millón de pesetas o te alquila la televisión americana por cuarenta millones de pesetas.

 

Il est dit et écrit que tu tues des becerros afeités, que tu ruses plus que tu ne torées, que tu ne sais pas ce qu’est la lidia, que tu fais le saut de grenouille et que contratas a otros que te sirvan de nodriza.  A ton sujet, ineffable Manolo de España y olé, on a tout écrit.

 

En ce qui me concerne et en tant que critique taurin, on m’a attribué de nombreux défauts pero todavía no se atrevió a escribir nadie que sea un indocumentado, ni que dé el paso atrás, ni que engañe a nadie por dinero. Car, sache bien Manolo qu’avec tes millions, tu peux acheter des avionetas, des fincas ou des hôtels, mais sache bien aussi que traverser la vie la tête haute coûte très cher et ne s’achètera jamais avec un chéquier.

 

Je t’écris de Pampelune, une ville qui aime les hommes courageux. Toi, tu ne peux plus y aller car les deux fois où tu y es venu, deux fois tu n’as pas été à la hauteur. Ici, tu n’as pas de peña d’admirateurs ni de bars remplis de tes photos. Moi, dans le vieux quartier de Pampelune j’en ai une à mon nom et elle est composée d’ouvriers et de gens ordinaires. A Pampelune existe le toro et toi, tu ne peux y venir parce qu’ici le toro vient fort. Yo sí, parce qu’ici les gens respectent ceux qui le défendent. Por eso tengo tantos amigos en Pamplona.

 

Je comprends bien ta vulnérabilité face à ce que tu n’as pas comme je comprends bien que tu aies donné mon nom à un de ces trucs qui te sont si chers et qui collaborent si bien à tes prestations car un nom est toujours choisi pour donner un statut à une chose que l’on considère comme essentielle. Pour toi, l’essentiel c’est le perritoro qui te permet de préserver ta notoriété dans ce pays très televisivo et dans lequel tu fais partie de ses plus grandes gloires aux côtés de Raphaël, Lola Flores, Urtain et Manolo Escobar. Mais le jour où les perritoros cesseront de te lécher les fesses, tu n’auras plus la catégorie suffisante pour qu’on te consacre une seule ligne et tu ne seras plus que M. Benítez Pérez, «el rico de Córdoba».

 

Je te remercie donc d’avoir donné mon nom à l’une de ces têtes naturalisées et n’en suis nullement offensé. Tu sais bien que nous, Espagnols, sommes très sensibles à tout ce qui a trait aux cornes, mais les têtes des toros que tu tues n’en ont pas. Même si je sais que c’est impossible, il en serait bien autrement si tu avais mis mon nom sous la tête naturalisée d’un toro de Pablo Romero ou de celle d’un du Conde de la Corte car si on pouvait imaginer te voir devant l’un de ceux du Conde sortis à Pampelune, je crois que tu serais probablement mort d’une crise cardiaque comme je sais que tu as tout à fait raison de ne pas te risquer à mourir tant qu’il y aura des « torifactoreros » qui fabriqueront des becerros à ta mesure devant un public consentant.

 

La seule chose que je regrette est de ne pouvoir rivaliser avec toi en ce qui concerne le détalle dont tu m’as honoré. Chez moi, j’ai quelques objets de valeur en particulier quelques sculptures du 17ème siècle et il ne me serait jamais venu à l’esprit de mettre sous l’une d’entre elles une plaque en cuivre avec l’un des noms dont je t’ai quelquefois gratifié du genre “analfabeto”, “indocumentado” ou “ventajista” car tu comprendras bien, Manolo, qu’une œuvre d’art a une valeur émotionnelle qu’on peut difficilement affubler des termes aussi vils.

 

Par contre, dans ma modeste demeure de Salamanque où j’ai commencé à toréer bien avant que tu n’inventes le saut de grenouille, où j’ai appris à combattre un ternero bien avant que tu n’achètes «Villalobillos», j’ai des moutons ainsi qu’un chien qui était destiné à s’en occuper. Mais un jour, M. Gonzalo, le berger, m’a dit que le chien avait peur du loup ; alors je l’ai offert à ma belle-sœur pour qu’elle puisse l’avoir chez elle, car comme elle n’avait pas d’enfants j’ai pensé qu’il pourrait la distraire. Et j’ai eu raison ; le chien qui fuyait le loup s’est enhardi avec les chats domestiques au point qu’ils négligent les souris et que ma belle-sœur s’amuse énormément à le regarder vivre ainsi paisiblement avec les chats ; aussi, Il m’a semblé tout à fait approprié d’appeler le chien «El Cordobés».

 

Y así se quedó.

 

Mais je ne veux pas que tu sois offensé ou que tu penses à mal ; ne crois surtout pas que je veuille te comparer à ce chien qui a peur du loup comme tu as peur des toros courus à Pampelune alors que tu fais des choses héroïques à Jaén ou à Benidorm ; sache que si je l’ai fait c’est uniquement parce que j’ai trouvé assez amusant de donner ton nom à un petit animal tout mignon.

 

On pourrait dire beaucoup de choses sur toi Manolo, mais personne ne niera que tu es très listo et je t’ai  toujours rendu justice à cet égard. Mon chien lui aussi s’est avéré très malin car au lieu de se battre avec le loup les nuits d’hiver, il a réussi à vivre en paix grâce aux chats et ainsi il se passe une vie impeccable.

 

Yo tenía un perro, me resultó simpático y le puse “El Cordobés”. Ya somos casi compadres. ¡ Vaya mi perro por tu cabeza !

 

En espérant que tu sauras reconnaître cette gentileza mía.

 

Signé : Alfonso Navalón Grande.

 

Diario de Navarra.

 

Juillet 1972

 

Patrice Quiot