Nîmes en novembre: Le square de la Couronne…
« La nuit descend
On y pressent
Un long un long destin de sang. »
« Poèmes à Lou » (1915).
Guillaume Apollinaire (1880/1918).
Feuilles jaunes.
Sur le trottoir de l’ancien hôtel du Midi.
Comme un quite végétal d’Apollinaire à Louise de Coligny-Châtillon.
Olivier aux hanches larges de Curro.
Et une plaque en pierre de Barutel.
Comme un pauvre brindis à la fraternité.
Platanes.
Aux troncs d’écorces arrachées.
Comme de belles blessures.
Statue de Daudet.
Manteau jeté sur l’épaule.
Comme un capote de paseo provençal.
Micocoulier.
Au tronc brun et lisse.
Comme le torse d’un becerrista gitan.
Bassin de plantes aquatiques.
Et vert tendre de la fraîcheur.
Comme une promesa novilleril.
Mobilier urbain.
De tables et de chaises.
Comme une entrada gratuite à la lecture.
Immeubles bourgeois.
Aux fenêtres closes de secrets.
Comme les faenas incas conservées aux Archives générales des Indes.
Œil rond des pigeons.
Qui marchent dans la lenteur.
Comme un paseo sous une pluie de calamine.
Papiers abandonnés.
Aux pas des promeneurs solitaires.
Comme les mégots sur le piso des callejones vides.
Vieilles dames en cheveux.
Le cabas rempli de cèbes.
Comme le run-run de la vie qui passe.
Enseignes de couleurs pâles.
Aux noms sans légende.
Comme apodos de l’insignifiance.
Bancs de Doisneau.
Pour y blottir les amoureux de Georges.
Comme le refuge d’un burladero.
Jeunesse en trottinettes électriques.
La tête pleine de rêves.
Comme ceux de celui de Palma del Río.
Lumière douce.
D’un ciel gris plomo.
Comme le sable de Bilbao.
Vent froid.
D’un cœur ulcéré.
Comme celui qui souffle de Guadarrama.
Un lieu de promenade dominicale.
De landau et de nurse anglaise.
Comme le modeste Retiro d’une lointaine sous-préfecture.
Arlequin d’impressions.
Nostalgie d’un temps arrêté.
Dans l’attente des clarines du printemps.
Un recantou sans luces.
Le square de la Couronne.
A Nîmes en novembre.
Datos
« Cette place qui s’appelait place de l’Hôtel-du-Midi, était ornée au milieu d’une fontaine monumentale, mais qui n’avait rien de remarquable. Alors que les diligences étaient les seuls moyens de transport à la portée du public, c’était sur cette place que se trouvaient les principales entreprises. Il y avait à l’entrée de la rue Notre-Dame, en face de l’hôtel du Luxembourg, une ile composée de trois maisons qui rendaient le passage très étroit et diminuaient considérablement l’espace libre ; c’est à M. Duplan, maire, que l’on doit la création du square de la Couronne.
Inauguration du Monument d’Alphonse Daudet au Square de la Couronne
Dimanche 8 avril 1900, dès le matin, la foule, maintenue par un cordon de sapeurs-pompiers, se presse autour du jardin de la Couronne, hermétiquement clos.
A dix heures, les portes sont ouvertes aux invités. Une tribune réservée aux autorités est dressée en avant du bassin sur la gauche ; en face et à droite, deux rangées de fauteuils pour la famille ; de ci, de là, longeant les pelouses, des groupes de sièges pour la presse et les privilégiés qui ont reçu des cartes d’entrée.
A dix heures trois quarts, le cortège officiel apparaît, salué par la Marseillaise qu’exécute la musique des pompiers.
C’est, d’un côté, M. Reinaud, maire, suivi du Conseil municipal et des membres du Comité ; de l’autre côté, M. Roujon, directeur des Beaux-arts, délégué du ministre de l’instruction publique, accompagné par M. Maitrot de Varenne, préfet du Gard, revêtu de ses insignes.
A ces Messieurs se joignent toutes les autorités civiles et militaires, M. le premier Président, M. le Procureur général, les Conseillers de préfecture en uniforme, M. le général Balaman, l’Académie de Nîmes, M. Silhol, sénateur ; les députés Delon-Soubeyran, de Nîmes ; Pascal, d’Uzès; Jourdan, de la Lozère, etc…
Tandis que le cortège prend place sur l’estrade officielle, la famille d’Alphonse Daudet occupe les fauteuils de face, Mme Alphonse Daudet, ses fils Léon Daudet et Lucien Daudet, M. et Mme Ernest Daudet et leur fils, M. et Mme Fère Daudet, gendre et fille.
Une fois l’assistance installée, la musique joue de nouveau la Marseillaise et le voile qui recouvre le monument tombe aux applaudissements de la foule.
L’œuvre de Falguière est charmante, gracieuse, enveloppée d’une mélancolie presque douloureuse. Alphonse Daudet est assis sur le roc, dans une pose méditative, légèrement affaissée ; sa tête fine et rêveuse, ombragée d’une longue chevelure, se penche vers l’eau du bassin. Il y a dans l’attitude l’abandon de la rêverie et de la tristesse. Ainsi devait être l’élégant ironiste, lorsqu’il fermait le livre commencé pour songer au beau ciel natal et aux sourires de notre soleil.
L’ensemble du monument, dans ce cadre riant, au milieu de ces peupliers longs et sveltes, au centre de ce bassin où se jouent les cygnes, est d’un effet plein de poésie. »
Patrice Quiot