Les dix taureaux de Kakuan ou el vaquero torero…

 

« L’animal rue, les cornes haut dressées,

Et galope, toujours plus loin, le long des torrents.

Un noir nuage obstrue l’entrée du val,

Que d’herbes tendres écrase-t-il à chacun de ses pas !

 

Je possède une corde tressée passée dans ses naseaux,

Et le fouette sévèrement à chaque tentative de fuite.

Il a toujours été d’une nature vile et rétive,

Et le bouvier doit encore de toute sa force le tirer.

 

Peu à peu dressé et soumis, il cesse de gambader.

À travers rivières et nuées, pas à pas il suit le bouvier,

Qui tient d’une main ferme la corde, sans jamais la relâcher,

Et veille tout le jour, oubliant sa fatigue.

 

Après un long travail assidu, il tourne la tête.

Son esprit fou s’assagit progressivement.

Mais le bouvier, toujours défiant,

L’attache encore avec la corde.

 

Près de l’ancien torrent, à l’ombre du saule vert,

L’animal lâché se promène à son gré.

Au crépuscule, à travers les prés odorants et les nuées bleutées,

Le bouvier s’en revient, sans avoir à tirer l’animal.

 

Libre et apaisé, le buffle repose sur le champ humide de rosée.

Nul besoin désormais du fouet ni d’aucune sorte de contrainte.

Le bouvier est assis sous le pin verdoyant,

Jouant une mélodie paisible, expression de sa joie.

 

Le soleil couchant illumine le saule et l’eau frémissante au printemps,

Dans la brume légère, la prairie verdoyante embaume.

S’il a faim, il mange, s’il a soif, il boit, ainsi passe le temps.

Sur un rocher, le bouvier dort d’un sommeil profond.

 

Immaculé, le buffle demeure au sein d’une blanche nuée,

Homme et buffle sont dans l’état de « Sans-Conscience »

La lune déchire les nuages blancs et projette son reflet d’albâtre.

D’ouest en est défilent la lune radieuse et les nuages blancs.

 

Le buffle a disparu, le bouvier est serein,

Tel un nuage solitaire entre les vertes falaises.

Sous le clair de lune il bat des mains et chante à haute voix,

Mais sur le chemin du retour se trouve encore une passe difficile.

 

Homme et buffle ont disparu, sans laisser de trace.

Le clair de lune embrasse tous les phénomènes dans la vacuité.

Quel est le sens ultime de cela ?

Dans la prairie parfumée, les fleurs sauvages prospèrent spontanément. »

 

Datos 

 

Les dix taureaux de Kakuan sont une série de dix poèmes utilisés dans les traditions bouddhistes chan, zen et rinzai. L’ensemble présente et figure les étapes de l’entraînement religieux qui conduit à terme le pratiquant à l’éveil et à la véritable libération.

 

Patrice Quiot