Un émouvant message de Jacques-Olivier Liby qui remue tant de souvenirs:  33 ans. Une si courte éternité…

 

Le ciel était aussi bas que celui de ce matin le 25 novembre 1991. En fin de journée, vers 17 heures, alors qu’une fine bruine tombait sur Nîmes, le téléphone a sonné. C’était Patrice qui m’annonçait le drame. Il était décidé illico de faire une émission spéciale le soir-même, à 20 heures, en direct sur Télé Bleue. Nous présentions alors depuis 18 mois l’émission « Callejon » Patrice et moi, chaque samedi. J’avais 16 ans. J’étais béotien et profane, mais sans doute déjà avais-je la foi, au moins celle du charbonnier.

 

A Fréjus, avec Luis Francisco Esplá et Morenito de Maracay

 

Je n’avais vu N2 qu’une seule fois dans ma vie, pour ma toute première corrida : le 14 mai 1989, le fameux jour des 6 Guardiola et du mistral. Quelques mois plus tard, à peine inscrit au CFT, je rejoignais Patrice sur le plateau comme chroniqueur puis copresentateur. Je n’avais pas jusqu’à cette date évalué les véritables abîmes du direct, de la folle liberté de la parole lorsqu’elle est livrée sans filet, ni du sens de la responsabilité de celui qui a la mission de parler pour ceux qui écoutent… J’en pris terriblement conscience ce soir gris du 25 novembre, quand Patrice, qui connaissait intimement Christian Montcouquiol, craqua littéralement deux minutes avant l’hommage en direct. Alors juste après les dernières notes du générique, je prenais instinctivement la main, bredouillais et bafouillais, entre émotion et inexpérience, l’hommage humble et simple d’un gamin de 16 ans au torero de sa ville.

 

Patrice retrouvait progressivement sa voix, tout en serrant dans sa main gauche un mouchoir en coton mauve humide de tristesse et de souvenirs. L’émission dura plus de trois heures, les invités se succédant sur le plateau pour dire leur émotion, leur incompréhension, leur sidération. Nous sortîmes de ce direct cathartique totalement hagards et sans voix.

 

Las Ventas

e lendemain, j’étais au lycée à 8h, en cours de philosophie. La leçon du jour portait ironiquement sur la définition du courage par Sénèque, Tourville, Sartre, sans oublier Platon. Moi je regardais par la fenêtre les arbres nus, qui se détachaient sur fond de ciel redevenu bleu après la colère des dieux. Et je me disais que N2, lui aussi, aurait mérité d’entrer dans les livres de philo pour incarner les concepts bien réels de passion, de persévérance, d’abnégation et d’exigence, et pour la manière si singulière qu’ont ces hommes de donner sens à leur existence.

 

Et, par ricochet, la nôtre, surtout quand la mort transforme la vie en destin.

 

Arles : Ultime paseo…

Photos : Daniel Chicot.

 

NDLR : Patrice… Il s’agit bien de mon ami Patrice Quiot connu alors que nous étions jeunes lycéens au « bahut » en face des arènes… et qui collabore actuellement à Torofiesta ! Un bail, hélas !!! P H