Ilusiones engañosas…
« Je ne savais pas que vous pouviez parler de quelqu’un d’autre que de vous-même».
Marcel Proust à José Antonio Del Moral.
« Il faut se méfier des illusions trompeuses » me confiait un François Mitterrand un peu dépité un soir de Féria 1983 quand, à sa demande pressante, je l’avais invité à la bodega de Jacote pour lui faire goûter une rouille de seiches qui, malgré sa belle présentation, s’avéra décevante.
« Méfiez-vous des apparences » avait à cette issue conseillé cet excellent homme : « Regardez par exemple ce que les Français avaient cru en 1981 quand j’avais demandé à Mauroy de prendre les rennes ; observez ce que les mêmes s’imaginent de mes relations avec Danielle ; soyez vigilant sur la façon dont ils considèrent mes canines; prenez garde à l’idéologie qui gouverne les choix éditoriaux de Serge July ; ne croyez pas que Simon se satisfera de la seule gestion des arènes de Nîmes… »
Il avait raison l’Oncle ; il faut se méfier des illusions trompeuses.
Ainsi, ce n’est pas parce qu’un magicien en frac et haut de forme fait disparaître dans un coffre entouré de grosses chaînes une fille blonde en maillot qu’on ne retrouvera pas la même quelques heures après, sans le coffre mais avec les chaînes, dans son plumard. Ainsi, ce n’est pas parce que les coiffeuses du monde entier se pâment devant Léonardo Di Caprio essayant de prendre la main de la gonzesse pour la ramener sur le canoë et éviter qu’elle se noie que le joufflu d’Hollywood en soit moins idiot ; ainsi, ce n’est ce n’est pas parce qu’il est maigre, instituteur, barbu et qu’il rase les murs que votre voisin de palier votera automatiquement socialiste comme ce n’est pas parce qu’il se prétendait aficionado que Gérard Jugnot comprenait quoi que ce soit aux toros.
Ce problème de l’illusion se posait déjà pour Platon à propos de la sophistique, cet art du simulacre et de la fantasmagorie qui dupe les oreilles et les cerveaux. « Comment la sophistique est-elle possible ? Comment faire du sophiste un artisan de paroles fausses et de pensées fausses et supposer que le non-être est ? » se demandait l’helvète antique.
« Peut-on, sans choquer la raison, admettre que le Non-toreo est ? » demandait récemment de la même façon à la suite de son espontaneada d’Acho, Juan Palacios «El Pantera» à Francis Wolff.
Le philosophe lui répondit sobrement : « No te preocupes, indio ; Platon appelle imitateurs simples ceux qui imitent de bonne foi l’exemplaire irréel auquel ils tâchent de se conformer ; toi, tu es ce que Platon appelle un imitateur ironique car tu es à la fois la copie (le eikon grec) qui est posée explicitement comme figuration de quelque chose et en même temps tu es le simulacre (le eidolon grec) qui, lui, se substitue à son référent pour produire une illusion ».
« On est d’accord avec toi, Francis » Jean-Pierre Crudo faisant cependant quelques réserves au motif que « l’individu qui agit sous l’empire de l’illusion rêve d’exploits, d’aventures, de succès, de conquêtes et de triomphes se situe dans une virtualité ».
Juan Palacios «El Pantera» n’y comprit que dalle et retourna penaud à sa maison, « un pueblito llamado Píllaro, vecino de Ambato, capital de la provincia de Tungurahua, a 2577 metros sobre el nivel del mar. »
L’illusion est aussi au cœur de la conception classique de la peinture, comme me le rappelait il n’y a pas bien longtemps mon bon collègue italien Léon Battista Alberti (1404-1472) en me soulignant l’importance de «rendre présent l’absent», ce précepte s’appliquant à l’envers pour Antonio Catalán Palazón «Toñete» ou Alejandro Marcos, matadores de toros por la gracia de Dios, qui, eux, rendaient «l’absent présent».
Fondamentale aussi en littérature est l’illusion romanesque ; pour qu’elle se produise, il faut intéresser le lecteur au sort de ses personnages, les faisant proches, exotiques, ou décalés. C’est ce qu’avait parfaitement compris Enrique qui assortit sa fin de carrière à Ana la boulangère, ce qu’avait moins bien compris John Fulton quand il se fit fort de faire de Taira Nono «El Niño del Sol Naciente» un émule de Rafael «El Gallo» et ce que ne comprendraient que trop bien les empresas qui programmeraient lors de la temporada de sa despedida Cayetano avec des toros d’Antonio Silva, de Canas Vigouroux, Jorge de Carvalho ou Herculano Silva.
Quant à René Descartes et Baruch Spinoza, ils pensaient que l’illusion se différenciait de l’erreur en ce qu’elle pouvait résister à la connaissance de sa fausseté. Un peu à la manière de Bernard Henri Levy, de Neymar ou de Javier Conde qui excellent dans cet exercice.
Dans le même ordre d’idées et dans l’esprit de René et de Baruch, ce n’est pas parce que les flyers de l’école taurine ouverte par Pepe Calabuig promettaient aux élèves qui s’y inscrivaient de devenir «riches, célèbres et aimés des femmes» qu’il eut été bien raisonnable que «Solalito » ou «El Rafi» y adhérent.
Mais, la vraie question étant le pourquoi de celle posée par «El Pantera» à Francis Wolff, j’en fis état la semaine dernière à Dominique Strauss-Kahn en lui précisant le contexte. S’excusant de ne pas avoir pu me rappeler plus tôt, occupé qu’il était à expliquer pour la centième fois à maman Anne la réalité de ses relations avec Nafissatou Diallo, il le fit hier pour me dire : «Patrice, il a raison Wolff ; il faut se méfier des illusions trompeuses ; souviens toi, quand tout le monde croyait que ce serait moi qui me présenterait à la présidentielle de 2012, qu’ils m’ont mis la cornada et qu’ils m’ont niqué sin puntilla ; il en est de même pour l’Inca auquel ils feront payer grave son outrance en le laissant encore plus longtemps sentao».
Je remerciai Dominique de cette confirmation en lui disant que s’il avait un problème de reclassement pour la boniche, je pourrais essayer de la pistonner auprès de Stéphane et Carole pour un poste de serveuse au «Latino», auprès des fils de Stéphane Meca pour un de «Madame Pipi» au «1/2/3» ou auprès de Didier Cabanis pour gérer la taquilla des arènes d’Alès. Très sensible à mon geste, il m’assura de son afecto y cariño.
Après qu’il eut raccroché et va savoir pourquoi, je me rappelais la morale de «L’illusion comique» : « Tout se fait par nature et non par artifice« , ce qui devrait être l’éthique des toros, celle de la vie et un peu aussi la mienne.
Ceci étant posé, comme il est très tôt et que je ne l’ai pas encore fait, je vais aller boire un café et manger una media tostada, le tout sans parler ce qui en fin de compte comme en y regardant bien m’arrange beaucoup dans la mesure où me taire est ce que je préfère.
«Il faut se méfier des illusions trompeuses», me disait François Mitterrand.
En ce qui me concerne, il avait raison l’Oncle.
Patrice Quiot