Vieux beaux…
Un brindis au ciel de Jean-Louis Lopez (1944/2019), journaliste et bibliophile taurin.
« À Ronda, il suffit de traverser le Puente Nuevo pour atteindre les plus anciennes arènes d’Espagne. C’est ici que Francisco Romero (1700-1763), créa, en 1725, une nouvelle chevalerie dont les membres allaient porter le titre envié de matador de toros.
Francisco de Goya y Lucientes venait ici, son carnet de croquis à la main et y transposait les couleurs des habits de lumière de ces héros. Il y a représenté le premier instant de la cogida de Pepe Hillo. Ce dernier, de son vrai nom José Delgado Guerra, est mort dans l’arène de Madrid le 11 mai 1801 à 47 ans.
Auparavant, il avait composé un traité de la tauromachie dont la première édition parut en 1796.
Un exemplaire de la seconde édition en partie originale, « Tauromaquia o arte de torear a caballo y a pie » orné de 30 planches en couleurs, dans son cartonnage du XIXe décoré d’un semis de fleurs de lys, a été vendu 1 400 €, à Drouot le 17 mars 2020, lors de la dispersion de la bibliothèque tauromachique de l’ancien libraire René Cluzel.
Goya connaissait l’ouvrage de Delgado. Il avait, en 1777, envisagé de montrer l’histoire de la corrida, incité en cela par la « Charte sur l’origine et l’évolution des courses de taureaux en Espagne » de son ami le poète Nicolás Fernández de Moratín (1737-1780). Ce fut finalement l’ouvrage de José Delgado qui le décida. Il s’en inspira, mettant notamment en scène les prouesses de son ami Pedro Romero (1754-1839) et celles de Pepe Hillo. Sa « Tauromaquia » parut pour la première fois en 1816, comportant 33 planches, comme la deuxième édition de 1855. La troisième (1876) réunit pour la première fois la totalité des 40 planches de la suite en cuivre, numérotées, rapportant les sept que Goya avait rejetées. Il est rare de voir passer des exemplaires complets de l’une ou l’autre des trois éditions. Les épreuves seules sont plus fréquentes. L’une d’elles, « Les Maures se servant d’ânes » une impression en sépia, a été adjugée 1 200 €, le jeudi 29 avril 2021 à Drouot.
Bien avant Goya, on avait parlé de la tauromachie en France pour la première fois grâce à l’abbé Jacques Carel de Sainte-Garde (1620-1684) et son ouvrage « Mémoires curieux envoyez à Madrid sur les Festes ou combats de taureaux (1670), dont un exemplaire relié en veau porphyre, armorié, à la fin du XIXe, a été vendu 780 €, lors de la dispersion de la bibliothèque de René Cluzel.
Nombreux furent les voyageurs qui émirent leur opinion sur le sujet. Madame d’Aulnoy (1651-1705), l’autrice des Contes de fée chargée par Louis XIV d’observer – pour ne pas dire espionner – la cour d’Espagne, ramena notamment une « Relation du voyage d’Espagne » (1691) dédiée au duc de Chartres. L’ouvrage fut suivi la même année par « Les Mémoires de la cour d’Espagne ».
Ces deux titres furent réédités sans interruption jusqu’en 1744. Un exemplaire de la troisième édition du premier, relié en veau moucheté, a été vendu 150 €, le 17 mars 2021. On peut y lire l’opinion de Madame d’Aulnoy sur la tauromachie : « Ces festes sont belles, grandes et magnifiques ; c’est un spectacle fort noble, & qui coûte beaucoup : l’on ne peut en faire une peinture juste, il faut les voir pour se les bien représenter. Mais je vous avoue que tout cela ne me plaît point. »
Bien plus tard, Théophile Gautier, qui a écrit le premier vrai roman tauromachique de la littérature française, notait : « L’on a dit et répété de toutes parts que le goût des courses de taureaux se perdait en Espagne et que la civilisation les ferait bientôt disparaître ; si la civilisation fait cela, ce sera tant pis pour elle, car une course de taureaux est un des plus beaux spectacles que l’homme puisse imaginer. »
Un exemplaire grand de marges, d’une édition en partie originale de son roman Militona (1847), relié en demi-veau olive de l’époque, auquel on a ajouté son « Voyage en Espagne », nouvelle édition, revue et corrigée (1858, ) et La Peau de tigre (1866), dont les pages 361 à 388 sont consacrées à la tauromachie, a trouvé preneur à 150 €.
N’oublions pas, enfin, Prosper Mérimée, le père de Carmen (1845), grand aficionado s’il en fut, qui offre l’opinion la plus impartiale sur la tauromachie dans ses « Lettres de Madrid », qu’il composa entre 1830 et 1833 pour la Revue de Paris. Il pouvait avoir feuilleté « Tauromaquía » et l’avoir commenté avec Gautier, qui affirmait que Goya était « l’homme le plus compétent du monde pour traiter à fond la matière. Quoique les attitudes, les poses, les défenses et les attaques […] soient d’une exactitude irréprochable, Goya a répandu sur ces scènes des ombres mystérieuses et des couleurs fantastiques. » »
« La Gazette Drouot » 24/06/2021.
Patrice Quiot