Un recuerdo : Dax 1996… (1)
C’est le matin quand sur le coup des dix heures je traversais l’Adour et qu’accoudé au pont, je regardais les berges envahies de centaines de jeunes encore endormis, ivres de fatigue et de bonheur que commençait mon itinéraire de fête.
En allant vers le « Splendid », la lumière crue du soleil montant vers son zénith marquait les couleurs ocre, rouge et blanc de la plaza ajourée de moucharabiehs ; une banda jouait sous les arbres du parc où des marchands ambulants vendaient ces ceintures de toile et ces bérets rouges qui avec la musique et les chants fondent l’âme dacquoise. De nombreuses haltes ponctuaient mon errance ; «Chez Bala», au «Bar Basque», « Chez Darrigade », je retrouvais des amis de comptoir ; chez «Les Moines» des amis gastronomes et au «Dax Thermal» des curistes en peignoir.
Mon sac sur l’épaule et quelques sous en poche, je marchais dans les rues en pleine chaleur à la recherche de cette aventure qui depuis toujours me nourrit et me sentais l’âme d’un maletilla urbain en pensant au «Lobo», à Palomo, à Conrado Abad, aux toreros français de la fin des années soixante et à bien d’autres qui peuplent mes rêves d’hiver. Plus tard, au « Splendid » où les serveurs ornaient leur boutonnière de la divisa des toros qui étaient lidiés l’après-midi, on buvait du fino frais en écoutant un orchestre en tenue jouer des rengaines de Glen Miller dans l’élégance aristocratique et débonnaire de l’entre-deux guerres. On y croisait tout le monde et avec chacun, on évoquait la mémoire d’Eduardo Miura et aussi celle de Curro Valencia tué par «Ramillette» lors de la Feria de juillet à Valence.
Abandonnées sur la pelouse à l’ombre des bananiers géants d’une Afrique en décomposition, de rutilantes Mercedes à quarante briques me confirmaient que les toros peuvent quelquefois rendre riche et dans les gros fauteuils en cuir du salon, insensibles à ce qui se passait autour, toujours sur le départ et déjà dans le lendemain, les apoderados buvaient des gin-tonic.
Le temps passait doucement ; partout, vertes, blanches et rouges défilaient les bandas et dans l’air une ineffable douceur et une gentillesse sautillante faisaient que les curistes en peignoir blanc se sentaient aussi à l’aise qu’à La Bourboule.
Sue la place de la Fontaine Chaude, les estanquets servaient tout au long de la journée le vin et le confit qui marquent la proximité immédiate d’un terroir puisant ses sources dans des racines fortes. Les tables décorées de nappes à carreaux accueillaient des hommes en bras de chemise et des femmes en robes imprimées et aux yeux clairs ; ils déjeunaient lentement, les hommes rompant le pain de leurs mains brunes. Je me souvenais qu’un soir des paysans de Monfort m’avaient invité à leur table pour partager des manchons de canard grillés accompagnés de haricots et d’un verre de vin lourd et que j’avais trouvé dans cette force brute les vibrations de la révolte.
A Dax, cette année-là, les toros s’inscrivaient tout naturellement dans l’ordre des choses ; par tradition, on y voyait les Baltasar Ibán et les Samuel Flores comme on y voyait des toreros vedettes et des moins connus, mais que la ville aimait comme ça, simplement, par coup de cœur.
Les uns et les autres venaient souriants, en amis, la fleur bleue au fusil, mais décidés à se battre comme des chiens.
A suivre…
Patrice Quiot