Fantôme…
« La vie n’est qu’un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s’agite son heure durant sur la scène, et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire contée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien. »
William Shakespeare.
Macbeth, (acte V, scène 5), 1606.
Elle était vêtue de noir.
La couleur était assortie à sa chevelure.
Elle avait la peau blanche.
Et ressemblait à Maria Casarès dans «Orphée».
Elle était descendue d’une automobile de marque soviétique.
Et entrée dans le café du pueblo.
Son chauffeur vêtu d’un imperméable l’attendait.
Il répondait au nom de Piotr.
Dans le café.
Il y avait Paco, le patron.
Et assis près du poste de télé.
Il y avait Juan.
Juan avait quatre-vingt-neuf ans.
Il était communiste et avait été torero.
Elle salua le patron puis Juan.
Et s’assit dans un coin.
Elle portait une étoile d’or sur le cœur.
Ses mains étaient fines.
Et ses lèvres.
Etaient belles.
Elle commanda.
Un tinto de verano.
Juan leva les yeux.
La voix avait attiré son attention.
Il la regarda.
Elle lui sourit.
Et la pendule.
Sonna las cinco de la tarde.
Juan prit ses béquilles, se leva.
Et vint s’asseoir à sa table.
Juan lui murmura des mots secrets.
Elle lui sourit encore.
Et l’éclat de ses dents blanches.
Illuminait le rade.
Le patron apporta le tinto de verano.
Elle but son verre et alla payer.
Le patron les vit sortir ensemble.
De la vitre du café, il les suivit des yeux.
Ils allèrent s’asseoir sur le banc de la place de l’ayuntamiento.
Et parlèrent un court instant.
Le patron crut entendre.
Des mots de sa langue dont il ignorait le sens.
« Le vent fit voler les flocons d’ouate
L’oxyde sema cristal et nickel
Une cuisse avec une corne désolée
Les cloches d’arsenic et de fumée. »
Et crut voir des gestes.
Qu’il n’avait jamais vus.
« Sous la cape écarlate…
Il faudrait moins d’été,
Moins de soleil peut-être et de roses coupées,
Moins d’éventails ouverts et de gens qui se hâtent. »
Elle se leva et attendit que Piotr arrive.
Monta à l’arrière de la voiture.
Et déposa un baiser sur la bouche de Juan.
Qui trembla.
Le patron sortit de son café.
Il voulait tout savoir.
Juan ne répondit pas à ses questions.
Et d’un geste lent et grave le renvoya à son ordinaire.
Il faisait un temps glacial.
Mais sous le pont du village, la rivière grise roulait des galets d’or.
Trois jours plus tard, Juan assista à une cérémonie.
Vêtu d’une veste marron, il portait une casquette de campo.
Le maire lui remit une attestation officialisant son état.
D’ancien torero qu’un toro avait rendu infirme.
Le soir même, Juan tomba dans son jardin.
Quatre jours après, il mourut.
Quand on vida sa maison, on y trouva un carnet.
Sur une page étaient inscrits une date et un lieu.
Une reseña jaunie relatait l’acto en quatre lignes.
Sur la page opposée un dessin malhabile représentait, étroitement unis.
Une immense paire de cornes, une table de cordonnier.
Du sang, une fourgonnette sur la portière de laquelle figuraient une croix et une faucille rouges.
Un voile blanc.
Et une muleta en forme de cœur.
En dessous, en caractères cyrilliques.
Un prénom et la date d’un jour d’août 1956.
Ainsi qu’une signature.
Qu’un brin de romarin séché ornait.
Patrice Quiot