Navidad Côte d’Azur…

 

Et soudain, au coin d’un virage :

 

« La côte semée de villas descendait jusqu’à la ville qui était couchée le long du rivage en demi-cercle, avec sa tête à droite vers la jetée que dominait la vieille cité surmontée d’un vieux beffroi, et ses pieds à gauche à la pointe de la Croisette, en face des îles de Lérins. Elles avaient l’air, ces îles, de deux taches vertes, dans l’eau toute bleue. On eût dit qu’elles flottaient comme deux feuilles immenses, tant elles semblaient plates de là-haut. Et, tout au loin, fermant l’horizon de l’autre côté du golfe, au-dessus de la jetée et du beffroi, une longue suite de montagnes bleuâtres dessinait sur un ciel éclatant une ligne bizarre et charmante de sommets tantôt arrondis, tantôt crochus, tantôt pointus, et qui finissait par un grand mont en pyramide plongeant son pied dans la pleine mer. Mme Forestier l’indiqua : « C’est l’Estérel. L’espace derrière les cimes sombres était rouge, d’un rouge sanglant et doré que l’œil ne pouvait soutenir » écrivait Maupassant dans «Bel Ami ».

 

Les poètes ont chanté la Côte d’Azur et les voyageurs l’ont vantée : Stendhal dans ses Mémoires, Valéry dans ses Mélanges et Nietzsche a parlé de ce « ciel d’alcyon qui venait briller pour la première fois dans sa vie ». « Les vingt plus beaux jours de ma vie » dit Berlioz. « On vient à Nice pour une semaine et on y reste toute la vie » écrit Théodore de Banville…

 

Ecrivains et peintres s’y sont fixés ; Alphonse Karr s’y fit jardinier, Picasso céramiste, Renoir, Léger et Chagall sont venus chercher là le refuge et la paix car de Toulon à Nice, les villes ont la couleur du ciel.

 

A Cannes, les maisons sont des plazas aux volets en persiennes, le ruedo est la Méditerranée, les toros deviennent poissons et oursins, les légumes et les fruits du marché Forville qu’on dirait dérobés par des furtivos et momifiés dans un quite à leur éternité par un embaumeur de Toutankhamon devenu torero sont aux couleurs des trajes brodés des figuras à Séville; d’azul purisima est le ciel, les palmiers et les orangers font le paseo, le romarin est mimosa ; à Cannes, on monte et on descend des rues aux sinuosités maures ou gitanes et, sans excès de redondance, les attributs des fêtes de Noël y sont discrets dans la mesure où ici la vraie élégance est celle des filets rapiécés des pêcheurs de Juan les Pins, frères de ceux de Barbate, celle des cordages noués de Golfe Juan qui auraient pu arrimer les canons de la Grande y Felicísima Armada de Philippe II, celle des céramiques et des mains calleuses des jardiniers de Vallauris et cette délicatesse-là n’a nul besoin de s’afficher.

 

Un presque désuet de bon goût que j’ai aimé comme, sous le soleil de midi, j’ai aimé l’hippodrome de Cagnes sur Mer, même si jamais je ne me suis laissé aller à une tendre affection pour les bêtes aux membres trop fins trouvant inhumaine presque vulgaire, cette esthétique d’athlète qui tend la peau, gonfle la veine, fait saillir le muscle en laissant deviner une violence sourde. Plus tard, quand je redécouvris cette hystérisation de la beauté dans les textes d’Antonin Artaud ou de Genet, je compris que seule la force du langage pouvait donner de la noblesse à ce qu’une forme exagérément parfaite rend presque hideux.

 

Me promenant le long de la mer avec mon petit frère tenant la main au fantôme d’Apollinaire, de Radiguet et de Cocteau, je me souvenais aussi la gracia de Nice où vécurent nos grands-parents. « Je suis du port. J’ai aimé les bateaux – dans mon enfance, les pointus des pêcheurs, les vieux cargos rouillés qui trafiquaient le vin rouge et le liège sanglant venu de l’autre côté de la Méditerranée, et bien sûr les ferrys de la Corse qui, outre les touristes et leurs autos, transportaient des vaches et des chevaux. La Prom’ – comme on l’appelle à Nice avec affectation et affection -, c’est plutôt la plage, les filles qui déambulent deux par deux en minishort, les garçons en espadrilles, les pédalos, les buvettes avec leurs tables de ping-pong en sous-sol. Quand j’avais 17 ans, on y allait, mais comme ça, sans plus, sans y croire vraiment, pour jouer au touriste. » écrit Le Clezio, la luminosité du jaune clair des citrons elliptiques de Menton et à un toque de pépins d’orange, l’Italie.

 

Et puis et peut-être surtout, me reviennent en mémoire, l’affection du simple, les cadeaux au goût du vrai, la tendresse des regards échangés, une fluidité de langage sans contrainte et un repas de premier janvier sur une table de bois et des crevettes roses qui nous souriaient en nous regardant de leurs yeux globuleux et nous menaçant de leurs pitones de fil noir…

 

Tout ceci en contrepoint :

 

Au sapin jeté au matadero de la déchiqueteuse, aux paquets et papiers de la mort des arbres, aux lumières qui ne sont pas celles du Siècle, à la chaleur ouatée qui dit le ventre jamais oublié des mères terribles, à l’agitation des enfants braillards sans l’ambiance tapageuse d’une bodega d’un hiver de Brueghel, aux parents en habits de paillettes, les eux en cravates criardes et les elles en chemisiers brillants du maquillage de l’outrance, aux repas de famille des secrets maudits, des rires de circonstance et des vieilles rancunes du testament de la pauvre tata.

 

Et tout cela en réplique :

 

A la neige et au froid des nuits sans fin du solstice, aux toreros en Rois Mages de la Cabalgata sur les ânes de la soumission, aux huîtres à la coquille en fossile et à la dinde qui ne sera jamais oiseau, au pognon trimé sur les chaînes de montage et gaspillé dans les gondoles des zonas de compras, aux rennes de madera aux yeux idiots et aux cornes en fundas de feutre, aux camions de pompiers rouges et muñecas blondes, aux eaux de toilette pour corps bodybuildés et «Embrujo de Sevilla» des dévotes du Caudillo, aux cantiques en CD de plastique pour saetas de salle à manger, à l’estrambord inconvenant de l’oubli, aux ventres rebondis de suffisance, têtes lourdes de vin et retours repus sur les jambes tordues de Juan Belmonte dans un petit matin de caminos escarchados..

 

Ce Navidad Côte d’Azur de luxe en un brindis de cuerpo abierto à tous ceux qui en firent un sueño…

 

Patrice Quiot