Puzzle loco…
Pour l’année, ce serait celle des grandes tables d’amis au soleil retrouvé ; pour le mois, ce serait un de ceux du printemps en une pizca d’avril, un zest de mai et un soupçon de juin ; pour le jour, dans le shaker du barman noir de «L’Ambos Mundos» de La Havane d’Hemingway, ce serait un peu du lundi de farolillos sans le mardi du «Tres de Mayo» et le mercredi des Cendres, une dose du jeudi de Pégoulade, une goutte du vendredi de Daniel Defoe, une touche de sabado de compras à «Hypercor» et una gotita de dimanche au bouquet mélancolique et lourd qu’inspirent les mots.
Pour la plaza, ce serait un peu de Nîmes parce que c’est Nîmes, un peu de Dax pour le parc et les moucharabiehs, un peu de Séville pour le fleuve et un chouia de Madrid pour le run-run. Pour l’affiche, ce serait une abrivado de Bacon, Arroyo, Chambas, Pires, Arman, Viallat, Ginac, Gilles, Parsus, Garousté, Loren, Formica, Clément, Godebski avec, sur un caballo d’espuma, un aveugle manchot de la clinique des Sophoras et pour l’asiento ce seraient, sans hésitation aucune, le tendido 10 de sol y sombra fila 4 de Séville et les gradins en bois des Torils Bas de Nîmes.
A midi, on aurait déjeuné de lechuga con cebollas, d’anchoïade, de boquerones fritos et de fougasse d’Aigues-Mortes accompagnés d’un blanc des Costières ou d’un autre sans lignage de la tierra de Jerez.
Cervantes présiderait le palco, la banda serait uniquement de violons, le callejón occupé par les «Mères de Mai» du Chili et l’acto débuterait à l’heure d’Oulan-Bator.
Les trajes seraient d’une pure tradition vénitienne mâtinée d’apports andalous : velours losangé et multicolore assemblé au cuir craquelé des cordonniers cordouans et au brocart des processions pascales, unissant dans un même esprit du Sud, l’Italie à l’Espagne, la tarentelle à la saeta, le David de Michel Ange au temple submergé de l’Hercule gadéditain, le rire à la convulsion.
Sonneraient les clarines qui seraient celles de las lágrimas de San Pedro, de los Laudes de la Pura y Limpia, o cornetas de las procesiones del Sábado de Gloria y de los ensayos de la Centuria Macarena.
Et s’ouvrirait la porte du toril d’où sortirait le toro de Gilgamesh qui jetterait dans la bataille les treize grands vents: Le Vent du Nord, le Vent du Sud, le Vent d’Est, le Vent d’Ouest, le Vent-Souffleur, le Vent-Tourbillon, le Vent-Mauvais, le Vent-Poussières, le Vent-Gel, le Tourbillon, la Tempête, la Tornade et l’Ouragan.
«Blanquet» le parerait à une main ; du burladero de lidia, Martín Recio et Maxime observeraient et conjureraient le ciel de Joaquín Camino Sánchez, de José Manuel Calvo Bonichón «Montoliú » et celui de Ramón Soto Vargas.
Quatre véroniques de Curro Vásquez et, au centre du ruedo, la demie de Morante ; celle de Séville. Puis, Antoñete pour une seconde, genoux en terre ; celle de Madrid. Roberto Dománguez mettrait Gilgamesh en suerte et Martín Toro lui donnerait la première pique. Quite abanicando de José María Dols Abellán «Manzanares» et de José Luis Feria «Galloso» et «Badila » donnerait la seconde pique en todo lo alto suivie de trois lances mains jointes de Salomón Vargas, le gitano de Triana pour laisser Gilgamesh au « Pimpi » qui clôturerait le tercio.
Les trois salueraient castoreño en mano, au son de «l’ Allegro Maestroso » de la «Symphonie concertante pour violon et alto» de Wolfgang Amadeus.
Martín Recio mettrait en suerte le fils du démon Lilū et de la vache Io, de la race royale d’Argos, pour Miguelín et une première paire al sesgo por fuera ; Maxime irait lidiando pour el sesgo por dentro de la seconde paire par Christian avant «Blanquet» pour la troisième et le quiebro de «Paquirri».
Paganini, Isaac Stern et Yehudi Menuhin joueraient ensemble « Manolete » et « Denis Loré ». Les gabians voleraient autour de l’arène et dans le ciel passerait le «Concorde 001» à destination de Bahrein.
Et alors que la pluie « qui fait des niagaras aux fourmis » commencerait à tomber, d’un tremblement de son menton prognathe Belmonte brinderait le Gilgamesh aux mineurs révoltés des Asturies, au désert d’Atacama, à François-René de Chateaubriand, à Iván Fandiño et à Víctor Barrio.
L’encanto des quatre doblones et demi en gagnant le centre de Francisco Camino Sínchez lors de la Beneficencia du quatre juin mille-neuf cent soixante-dix ouvrirait le flacon d’un «Habit Rouge » de Guerlain que ne connaitront jamais les damnificados des ghettos de Varsovie, de Carabanchel ou de Soweto.
Les mêmes ne connaitraient pas non plus les cinq derechazos de «Cagancho», ceux de Tolède du 9 mai 1927 qui suivraient et qui seraient de « Ces choses gitanes se sentent, se chantent, se pleurent, mais ne peuvent s’écrire » rematés de deux passes de poitrine du Viti quand «El óxido sembró cristal y níquel ».
Et sur les gradins, on préviendrait déjà les jasmins.
Et puis la locura 64 du Cordobés, trois naturelles 67 d’Ordoñez comme celles données au Benítez Cubero, trois ayudados 68 de Teruel identiques à ceux du Carlos Nuñez de Ronda, l’entrega 89 de Christian devant les Guardiola, l’épée 73 de José Antonio Galán avec le Miura de Pamplona et celle 81 de Paquirri à Séville qui foudroya l’Osborne après que le torero eut fait un clin d’œil à celui des gradins qui, dans le silence, lui avait crié : « Paco, mata lo bien pa’ El Bétis » et, en 86, le descabello du Viti donné en marchant à Palavas.
C’est fini.
Gilgamesh est mort et « Un niño trajo la blanca sábana » pour effacer du tableau de la nostalgie la craie de ce puzzle loco…
Patrice Quiot