Trasteo de service et faena de brandade…

 

En une métaphore culinaire des bonnes pratiques taurines…

 

« Pour celui qui veut donner à dîner, il y a trois choses importantes à considérer ; il doit chercher, avant tout, à satisfaire le goût de ses convives, à leur offrir convenablement les mets qui doivent charger la table, et pour tout ce qui le regarde, viser à l’économie, sans toutefois laisser apercevoir ses intentions.

 

La manière généralement reçue de servir un dîner n’atteint pas toujours ce triple but. Les uns, comme dans le nord de la France, servent tout à la fois, même le rôti et les entremets chauds, quel que soit le nombre des convives ; les autres, comme dans le midi, font toujours deux services. Je ne rejette ni n’adopte entièrement ces deux méthodes ; une longue expérience m’a fait reconnaître, à cet égard, des inconvénients qui m’ont porté à modifier ces usages, selon qu’il y avait à servir un nombre plus ou moins grand d’invités. J’adopte le double service, lorsqu’il n’y a pas plus de douze couverts ; en dessus de ce nombre, je suis une marche différente, qui tient de l’un et de l’autre usage : après le coup du milieu, je fais enlever les hors-d’œuvre, et les fais remplacer par le rôti et les entremets chauds, sans toucher au reste des plats ; c’est une sorte de second service moins complet, mais qui me parait préférable sous tous les rapports. D’abord, il est plus économique, puisqu’on n’est pas obligé de couvrir une seconde fois la table d’autant de plats qu’on en a fait disparaître ; puis, le grand avantage résultant de cette manière de servir, c’est de faire manger chauds le rôti et tes entremets qui, du commencement du repas jusqu’au moment de les attaquer, ne peuvent, quelques précautions que l’on prenne pour chauffer sur table, conserver le degré de chaleur nécessaire pour en faire apprécier la saveur et le goût : tout le monde sait que rien n’est pire qu’un dîner froid. Lorsque le Roi et la Reine de Naples, Son Altesse Royale Madame la Duchesse de Berry et l’Infant d’Espagne Don François, passèrent à Nîmes, j’eus l’honneur de sertir leur table : le Roi ne voulut qu’un seul service ; je pris la liberté de lui faire observer que Sa Majesté serait exposée à manger froid ; il persista, j’obéis. A son départ, le Roi me fit témoigner sa satisfaction par M. le préfet Hermann ; j’en fus flatté, sans doute, mais à part moi, je me dis que je me garderais bien de faire jamais compliment à mon cuisinier, si, par sa manière de servir, il me condamnait à manger froid une partie de mon repas »…

 

« … Faites tremper la morue un couple de jours ; dans cet intervalle, changez-la d’eau quatre ou cinq fois ; quand vous voudrez la préparer, vous la ferez blanchir dans une casserole ; l’eau doit la couvrir en entier ; lorsque vous verrez qu’elle est près de bouillonner, vous y jetterez un verre d’eau fraîche ; vous la retirerez du feu, et la couvrirez ; faites ensuite égoutter la morue ; ôtez-en les arêtes et le bout de la tête, qui sont toujours mauvais, après quoi vous la mettrez dans une casserole avec un jus de citron ; vous donnerez à la casserole un mouvement de rotation continuel, pendant qu’une autre personne versera goutte à goutte, l’huile qui doit lier la morue ; quand celle-ci sera liée et épaissie, au point de s’attacher à la casserole quoique vous continuiez à la remuer fortement, vous y verserez doucement un demi-verre de lait ou d’eau fraîche ; en remuant toujours la casserole à deux mains, la morue s’en détachera d’elle-même ; vous continuerez alors d’y faire tomber de l’huile, et quand enfin elle sera bien liée et fera la crème, vous y mêlerez des tranches de truffes, du persil, un peu d’orange de sauce ; ces deux derniers objets doivent être hachés, et le tout passé deux minutes sur le feu avec de la bonne huile; on peut ajouter un peu d’ail à cette préparation, si on ne le craint pas ; il n’est pas de rigueur.

 

Nota, La morue, qu’il est indispensable de tenir bien chaude pour être préparée en brandade, ne doit néanmoins jamais bouillir. »

 

Charles Durand.

 

«Le Cuisinier Durand»/1830.

 

Datos

 

Charles Durand, né le 11 juin 1766 à Alès et mort le 26 mars 1854 à Nîmes, est un cuisinier et gastronome célèbre.

 

À 13 ans, il commença sa carrière de cuisinier au service de l’évêque d’Alais, Cortois de Balore. Il partit ensuite exercer son art dans diverses régions à l’âge de 20 ans, puis revint à Alès, où il ouvrit un restaurant à son nom, pour s’établir enfin à Nîmes.

 

En 1830, il fit paraître Le Cuisinier Durand, ouvrage qui constitue un des premiers livres de cuisine régionale dans l’histoire de la cuisine française, plusieurs fois réédité et constamment plagié.

 

Charles Durand est surnommé le « Carême de la cuisine provençale ».

 

Il s’est fait l’apôtre de la cuisine provençale et des cuisines du terroir méconnues en dehors du cru. Il fit connaître à Paris une spécialité nîmoise : la brandade de morue.

 

Patrice Quiot