Orson et l’Espagne… (2)

 

Orson Welles ne retrouve l’Espagne que des années plus tard, à l’âge de 36 ans. Ce n’est déjà plus le jeune homme promis à un grand avenir. Il aurait terrorisé l’Amérique avec une adaptation radiophonique de La Guerre des Mondes. « Je pensais que j’allais terminer en prison et ça m’a ouvert les portes d’Hollywood.», se souviendra-t-il. À seulement 25 ans, la RKO lui a donné carte blanche et un salaire mirobolant pour réaliser le film de son choix. Le résultat a révolutionné le cinéma, mais son film Citizen Kane a été un échec commercial. Entre-temps, il a épousé Rita Hayworth.

 

En 1951, il effectue un bref séjour en Espagne pendant le tournage de son Othello mis en œuvre trois ans plus tôt. Ces premières retrouvailles sont toutefois anecdotiques. Le véritable retour se fait en 1953 à l’occasion du tournage de son septième film : Mr Arkadin.

 

Dans les années 50, les Américains commencent à s’intéresser à l’Espagne. De nombreuses productions s’y développent pour des raisons financières, le régime de Franco interdisant aux distributeurs yanquis de sortir leurs recettes du pays. La meilleure solution dès lors est de réinvestir cet argent dans la production cinématographique.

 

Orson le républicain craint tout de même des représailles de la part du Generalísimo. Mais un ami espagnol croisé au festival de Cannes le rassure. Franco déteste les communistes encore plus que les Américains et veut profiter de la Guerre Froide pour en finir avec l’ostracisme, se rapprocher de Washington et conclure des traités. Un Américain connu se baladant en Espagne n’a donc rien à craindre. C’est le cas de Frank Sinatra lorsqu’il vient rendre visite à Ava Gardner, grande amie d’Orson. Le crooner peut se permettre de briser tous les portraits de Franco dans son hôtel sans qu’on ne lui fasse la moindre remarque. 

 

Orson et l’Espagne ne se quittent pratiquement plus. Sur les douze longs métrages terminés du cinéaste, cinq ont été tournés en partie ou entièrement en Espagne. Et entre deux scènes, il en profite pour sillonner le pays, caméra au poing. Il filme les gens, les processions, le flamenco, les taureaux. Il accumule plus de 60 heures de matériel brut. La télévision lui commande des documentaires sur le pays.

 

Welles ne rate pas une occasion d’assister aux ferias de San Fermín à Pampelune. La chambre 104 au Gran Hotel La Perla était le quartier général du cinéaste quand il était de passage dans le Nord de l’Espagne.

 

Pour Falstaff, il avait tourné la bataille de Shensbury dans la Casa de Campo, faisant passer ce grand parc madrilène de 17 kilomètres carrés – deux fois la taille du Bois de Boulogne – pour une campagne anglaise.

 

Pour sa réalisation suivante, Une histoire immortelle (1968), téléfilm de 58 minutes avec Jeanne Moreau, il utilise la petite ville de Chinchón dans les environs de Madrid pour évoquer la colonie portugaise de Macao, se contentant de disposer quelques enseignes en chinois à l’arrière-plan. Lors d’une scène, on aperçoit tout de même des figurants asiatiques, des serveurs que Welles est allé recruter dans les restaurants chinois de la capitale.

 

En 1973, Orson Welles tourne des scènes de F for Fake à Ibiza et Almería. Ce faux documentaire mettant en scène un prestidigitateur est son dernier rendez-vous cinématographique avec l’Espagne.

 

Il vit désormais à Los Angeles. C’est dans cette ville qu’il décède le 10 octobre 1985. Il avait souvent répété à ses amis qu’il voulait reposer en Espagne. Son souhait sera exaucé, mais seulement deux années après son décès en raison d’un litige familial. C’est sa fille Beatrice qui rapatrie l’urne funéraire. Le 7 mai 1987, les cendres d’Orson Welles sont enterrées dans un petit puits au cœur de la propriété de son ami le matador Antonio Ordóñez, près de Ronda en Andalousie. »

Sources : «Nos années lumière»

 

Datos

 

George Orson Welles, né le 6 mai 1915 à Kenosha (Wisconsin) et mort le 10 octobre 1985 à Hollywood (Californie), fut à la fois acteur, réalisateur, producteur et scénariste, mais également metteur en scène de théâtre, dessinateur, écrivain et illusionniste.

 

Il n’existe pas de sépulture d’Orson Welles. Conformément à ses dernières volontés, ses cendres ont été dispersées en Espagne, dans la finca « Recreo de San Cayetano », près de Ronda en Andalousie, qui appartenait à son ami, le torero Antonio Ordóñez.

 

Welles découvre l’Espagne à 17 ans. Au cours de l’année 1935, il sillonne de nouveau l’Espagne sous l’apodo de El Americano. Mais après deux blessures, l’une au cou, l’autre à la cuisse, il renonce à son ambition de devenir torero. Cependant, il n’a jamais réussi, au cours de sa carrière, à trouver le financement pour son film Monstres sacrés dont le sujet est celui d’un cinéaste (lui-même) qui suit des toreros de ville en ville. De son afición, seuls subsistent My Friend Bonito, ainsi que quelques émissions de télévision, parmi lesquelles Corrida à Madrid (1955), The Orson Welles’ Sketch Book (Around the World with Orson Welles, ABC, 1955) et Orson Welles on the Art of Bullfighting (ABC, 1961).

 

Au cours de sa carrière, il tente de « contaminer » un certain nombre de célébrités de Hollywood, occupant dans les arènes les places du premier rang en compagnie d’acteurs et d’actrices. Certains le suivent parce que c’est en quelque sorte à la mode : Frank Sinatra, Debra Paget, Lee Marvin, Glenn Ford. D’autres sont devenus de réels aficionados : Rita Hayworth, Ava Gardner, Stefanie Powers (qui a été elle-même une aficionada práctica), Joseph Cotten, Anthony Quinn.

Patrice Quiot