El Pijota» de la Regla…(1)
« Je vois le bout, mais j’espère qu’il m’en restera quelques-uns à marquer ».
Aimé Gallon – Novembre 2006
Cette nouvelle andalouse-mosellane écrite le troisième mois de l’an 7 du troisième millénaire et dont les personnages ne sont pas tout à fait imaginaires…
« Quand l’avion atterrit à l’aéroport de Jerez-La Parra à 9h40, Dimitri Muller avait la tête encore lourde de la soirée de la veille partagée avec des hooligans allemands qui avaient abusé de ses économies en l’entraînant dans des bars à bières tenus par des immigrés slovaques. Tard, en rentrant à son hôtel, il avait vomi et pensé à elle.
Il faisait à peine beau, presque le même temps que la première fois il y avait vingt ans et Dimitri sentit ce picotement à l’endroit où une fine cicatrice lui barrait le sternum. Il observait les palmiers qui bordaient le bout du tarmac en marchant vers l’aérogare quand il se prit à chantonner :
« Ton pantalon est décousu ;
Si ça continue on pourra voir tes fesses ;
Ton pantalon est décousu ;
Si ça continue on pourra voir ton cul ! »
Tout avait commencé par cette rengaine.
Dimitri avait alors huit ans et depuis qu’il avait vu «Crin Blanc» au patronage, la cour de récréation de l’école communale de Sarreguemines lui semblait trop étroite. Car Dimitri rêvait et plutôt que de l’en dissuader, Mlle Schwartz, la vieille institutrice de Freybouse, l’avait encouragé à poursuivre dans cette voie poétique peu commune en pays mosellan. Ses copains de classe se moquaient de cette composante trop éloignée de ce qui fondait leurs valeurs et l’avaient pris en grippe. Le moindre prétexte était sujet à bagarres.
Dimitri Muller récupéra de la soute du Boeing son sac de sport avant de prendre le bus de la compagnie «Los Amarillos» qui l’emmènerait à Chipiona via Sanlucar du Barrameda. Assis sur la banquette de skaï, Il sentait plus fort le picotement à l’endroit où une fine cicatrice lui barrait le sternum. Le bus roulait sur le périphérique de Jerez, bordélique et merveilleux à la fois. Les magasins de meubles en acajou côtoyaient les succursales des marques de bagnoles rutilantes et les celliers de Terry, Osborne, Gonzalez-Byass quilaissaient complètement indifférentes des vieilles en cheveux portant des enfants sur le porte-bagages de mobylettes rafistolées et qui roulaient plein pot rigolant de la vie en narguant le danger d’une circulation gitane.
Dimitri songeait :
« Ton pantalon est décousu ;
Si ça continue on pourra voir tes fesses…. »
Ce matin là dans la cour de la communale, pour une mauvaise histoire de notoriété entre papas qui travaillaient «au jour» et papas qui travaillaient «au fond», il s’était fait rosser. Les vêtements en lambeaux avaient suscité les lazzis mais Mlle Schwartz lui avait parlé de Rimbaud, des poings serrés dans les poches trouées, de l’absinthe verte et de la vie des trafiquants d’armes. Après la classe elle lui avait dit : «Va à Farébersviller, au 22 rue de Cocheren, va voir un ami. Il t’apprendra ce que tu dois aimer. Va le voir. Il s’appelle Juan de Montalte, «El Pijota».
L’image de «Crin Blanc» libre dans le soleil des roubines, les yeux bleus de la vieille institutrice, le ciel rêvé d’Albaron, les mains fines de Mlle Schwartz qui tremblaient imperceptiblement, le mauvais goût du schnabo des rades de Rosbruck, des envies de sansouïre ou de tamaris et la chaleur du poêle en fonte décidèrent Dimitri à le faire.
Le bus de la compagnie «Los Amarillos» avait maintenant quitté Jerez. A un embranchement, Dimitri nota d’un coté la direction de Séville par El Cuervo, El Torbiscal et Los Palacios, de l’autre celle de Cadiz en passant par le Puerto. C’est cette route là qu’il prendrait car c’est vers là bas qu’il allait.
Dimitri Muller arriva pour la première fois chez Juan de Montalte, un après-midi d’avril 1986 vers les six heures et demie. «El Pijota» habitait au deuxième étage d’un «bloc». Il avait pour voisins des italiens, un polonais et des marocains que des recruteurs serviles des Houillères du Bassin de Lorraine étaient allé chercher au pays au début des années soixante dix. Pour seul ami, «El Pijota» avait un martinet qu’il avait soigné d’une aile cassée et qui vivait depuis dans un coin de son balcon.
Juan de Montalte était andalou; il venait de Chipiona, village au bord de l’Atlantique où son père et son grand-père étaient pêcheurs. Spécialistes de la capture du pijota, une sorte d’anchois allongé, ils portaient comme surnom le nom du poisson et leur fils et petit fils portait, bien entendu, le même.
Dans sa jeunesse, Juan de Montalte avait lui aussi fréquenté les ports de Chipiona et de Barbate, mais à vingt cinq ans il avait rencontré Antonio Garrido, un torero de Jerez de la Frontera et avait consacré sa vie à le servir. Antonio n’avait pas réussi dans les toros et s’était exilé en Amérique où il avait été condamné à mort pour un meurtre barbare. Il avait été exécuté sur la chaise électrique du pénitencier de Miami le 30 août 1985 à 15h.33 pm. à l’instant même où, à l’heure de Colmenar Viejo, «Burlero» tuait José Cubero Sánchez.
Le lendemain de l’exécution d’Antonio, «El Pijota » avait pris le train et quitté l’Espagne. Pour une raison inconnue, le dur s’était arrêté à Farébersviller et «El Pijota» y vivait depuis ne conservant de ses origines que des souvenirs pieux et un reliquaire de la Vierge de la Regla, patronne de Chipiona dont Juan de Montalte faisait partie de la Hermandad.
Datos :
Nuestra Señora de Regla de Chipiona.
La tradition raconte qu’après le sac d’Hippone (Aujourd’hui Annaba, antérieurement Böne Algérie -) par les Vandales en 431, les disciples de saint Augustin, s’enfuirent dans une barque portant l’image d’une Vierge. Selon la légende, l’image remonterait à 300 après JC et aurait été construite sur ordre de Saint Augustin pour son oratoire.
Ils s’enfuirent jusqu’à ce que la mer les conduise au promontoire de Chipiona le 2 juillet 443, et là ils fondèrent un monastère sur les vestiges d’une ancienne construction.
Avec l’arrivée des Arabes, en 713, le prieur Simon cacha la Vierge dans un puits sous un figuier.
En 1330, un chanoine régulier de la cathédrale de León, qui traversait toute la péninsule, s’assit sous un figuier pour se reposer et eut une vision dans laquelle il lui fut révélé que l’image de la Vierge se trouvait dans le puits à côté de cet arbre après y avoir été cachée pendant 617 ans.
Une croix fut placée à cet endroit et des années plus tard, la famille Ponce de León céda son château pour le transformer en sanctuaire afin que la Vierge puisse y être vénérée.
Patrice Quiot
A suivre…