«El Pijota» de la Regla…(3)

 

C’était arrivé le lendemain matin, ce jour où il faisait presque beau. En pointe, la vache avait donné du fil à retordre aux aspirants toreros qui s’y étaient essayé et dont les déculottées avaient fait rire l’arène portative de Chipiona. Dans la contre piste, Juan de Montalte ne parlait toujours pas ; encore et encore et encore il observait. A un moment, l’œil de la vache croisa celui de Dimitri ; il eut très chaud, puis très froid et il sut à ce moment ce qui allait se passer. «El Pijota » se tourna vers lui : «  Elle est pour vous, sur la main droite sans lui donner trop de pico ».  Dimitri Muller comprit ; il avait neuf ans et il allait mourir.

Juan de Montalte «El Pijota» lui tendit la muleta : « C’est celle d’Antonio Garrido, ne nous décevez pas. Vive la Vierge de Regla ». Dimitri Muller s’avança et la vache vint. Il sentit une brûlure au sternum.

«Le Diario de Cádiz » en fit écho le lendemain dans une brève locale. Dimitri Muller se réveilla deux jours plus tard dans une clinique de Rota. Juan de Montalte avait disparu sans donner de nouvelles. Après un mois de convalescence, Dimitri repartit à Sarreguemines et retrouva les chicanes de la cour de récréation :

 

« Ton pantalon est décousu ;

Si ça continue on pourra voir tes fesses ;

Ton pantalon est décousu ;

Si ça continue on pourra voir ton cul ».

 

«El Pijota » avait quitté le 22 rue de Cocheren à la cloche de bois et les neveux de Mlle Schwartz l’avaient placée dans un hospice du Poitou.

Le temps passa, Dimitri Muller grandit. Il travailla en Allemagne, puis en Angleterre, connut des plaisirs idiots et des aventures faciles. Mais à Sheffield ou à Zimmern, le soir, devant le miroir de l’armoire de sa chambre, Dimitri Muller dessinait toujours des gestes amples de la main gauche et voyait dans le ciel la couleur verte de l’absinthe et les visages grimaçants des trafiquants d’armes.

Cependant c’est l’œil de la vache qui le fascinait. Il se réveillait la nuit en sueur, le souffle coupé. Cette sensation trouble, qui valait mille fois les seins lourds de Jennifer ou les cuisses blanches de Benedikt le hantait quand il posait sa main à l’endroit où la fine cicatrice lui barrait le sternum.

Un soir de Carnaval à Sarrebruck, il comprit qu’elle l’attendait et il partit le lendemain.

A Chipiona, il déjeunait tous les jours à «La Casa Laura » et Carmelo le servait sans rien dire. Un matin pourtant, il lui glissa à l’oreille : «Va entre Algar et San José del Valle sur les bords de l’embalse de Guadalcaicín ; là tu la trouveras ».

Dimitri Muller y alla le soir même. Il pleuvait à fond. Dans le ciel, la constellation  à la couleur verte de l’absinthe et aux visages grimaçants des trafiquants d’armes lui montra la route. Il la vit tout de suite. Elle buvait comme buvaient les lions sur les berges du Nil. Dimitri Muller, l’appela : « Vaca, vaca bonita, vaca mia, venga, amor mio, venga vaquita perdida ». Elle leva la tête et lui sourit. Ses dents étaient des clous.

Alors, d’un bosquet de chênes lièges, vêtus d’un arlequin d’habits de lumières, sortirent les fantômes d’Antonio Garrido et d’Aimé Gallon et aussi Juan de Montalte et aussi Mlle Schwartz et aussi Carmelo et aussi Maurice Blancou et les copains qui l’avaient si sévèrement rossé et aussi Jennifer aux gros seins et Benedikt aux blanches cuisses. Ensemble ils chantaient :

 

« Ton pantalon est décousu ;

Si ça continue on pourra voir tes fesses ;

Ton pantalon est décousu ;

Si ça continue on pourra voir ton cul ».

 

La vache mit dans leurs mains ses sabots de fer. Au-dessus de leurs têtes volait le martinet. Enfin libre, Dimitri Muller les rejoignit et ils dansèrent toute la nuit. Au matin, tous ensemble dans une farandole de sabbat de sorcières, ils disparurent à jamais en direction du sanctuaire de Nuestra Señora de Regla, Paseo Costa de la Luz, 91 ; 11550 ; Chipiona (Cádiz).

 

Datos 

 

Nuestra Señora de Regla de Chipiona.

La tradition raconte qu’après le sac d’Hippone (Aujourd’hui Annaba, antérieurement Böne Algérie -) par les Vandales en 431, les disciples de saint Augustin, s’enfuirent dans une barque portant l’image d’une Vierge. Selon la légende, l’image remonterait à 300 après JC et aurait été construite sur ordre de Saint Augustin pour son oratoire.

Ils s’enfuirent jusqu’à ce que la mer les conduise au promontoire de Chipiona le 2 juillet 443, et là ils fondèrent un monastère sur les vestiges d’une ancienne construction.

Avec l’arrivée des Arabes, en 713, le prieur Simon cacha la Vierge dans un puits sous un figuier.

En 1330, un chanoine régulier de la cathédrale de León, qui traversait toute la péninsule, s’assit sous un figuier pour se reposer et eut une vision dans laquelle il lui fut révélé que l’image de la Vierge se trouvait dans le puits à côté de cet arbre après y avoir été cachée pendant 617 ans.

Une croix fut placée à cet endroit et des années plus tard, la famille Ponce de León céda son château pour le transformer en sanctuaire afin que la Vierge puisse y être vénérée….

 

Patrice Quiot