Toro d’Osborne : Chaos…
En 1957, le premier toro d’Osborne fut installé à Cabanillas de la Sierra, entre Burgos et Madrid. Il y en eut jusqu’à 500 sur tout le territoire espagnol et dans le monde des toros l’enseigne devint «El toro de la carretera».
En septembre 1994 fut publié un règlement général des routes espagnoles qui ordonnait le retrait de tous les panneaux publicitaires du groupe Osborne figurant cette silhouette de toro.
De nombreuses communautés autonomes, municipalités, associations culturelles ainsi que des artistes, des journalistes et des personnalités du monde politique se prononcèrent alors en faveur de leur maintien.
L’Andalousie enregistra le toro Osborne comme « bien culturel » et la communauté de Navarre établit une loi forale pour le conserver sur son territoire.
En France, l’association « Horchata de Chufa » « chargée de voler au secours des poncifs, des totems et des nostalgies pourvu qu’ils soient de l’autre côté de la Junquera » se mobilisa pour s’associer à la campagne en lançant un appel au maintien sous la forme de photos, textes, collages, poèmes, souvenirs, rassemblés dans un coffret.
Extraite du cajón, ma contribution de l’époque à cette vieille croisade…
Chaos
Alors ils se décidèrent et un soir de pleine lune de quatre-vingt-onze lieux d’Espagne ils partirent ; leur résolution, prise dans le secret de la poésie, était irrévocable, rien ne devait les arrêter. Ils confluèrent au lieu même où le Genil commence à caresser le Guadalquivir et de là, en procession, l’un derrière l’autre, noirs, énormes, métalliques, effrayants, ils se mirent à avancer.
Ils ne se connaissaient pas, mais tous étaient unis par le tragique d’un désespoir ; ils avaient chacun une histoire, mais ensemble, ils devenaient un destin. Comme les héros, ils marchaient la nuit, se cachant le jour dans des marais ou des forêts encore épargnées ; ils traversaient des villages ; derrière les portes fermées, les mères racontaient leur histoire à des enfants tristes, les pères se saoulaient et, le poing levé, ils les saluaient. C’était aussi leur guerre.
A la frontière du Perthus, les phares allumés de tous les coches de cuadrilla du monde les éclairèrent ; dans les arbres, les toreros priaient. Un prêtre défroqué les bénit ; ils passèrent Béziers où un solitaire les rejoignit ; ils croisèrent Simon de Montfort qui leur jeta une tête de Cathare mort. Ils n’en firent pas cas, mais, en Camargue ils tuèrent quatre-vingt-douze sarcelles qu’ils encornèrent au vol, après les avoir nourries d’un brin de riz tendre.
Ils mangeaient les galets des ruisseaux et laissaient derrière eux des déjections d’or fin qui marquaient de façon admirable la géographie de leur errance. Aux Champs Catalauniques, les Huns d’Attila les prirent pour des dieux en marche ; à Bibracte, Vercingétorix leur offrit l’hospitalité et une branche de gui. Partout, les populations s’effrayaient ; pour se protéger de la horde, des esclaves construisaient des murailles dont les pierres étaient liées par des nœuds de fer.
Seul, Voltaire osa les défendre ; de Fernay, il vint en carrosse les honorer, il leur parla pendant quatre jours écrivant en même temps à la lueur d’une mauvaise chandelle. Ce fut grâce à eux qu’on réhabilita Calas. A Paris, un d’entre eux mourut du choc avec une Caravelle qui explosa en plein ciel constellant la Grande Ourse de shrapnels incandescents. ; au Mont Cassel, la scansion régulière de leurs sabots émut une jeune fille ; elle s’appelait Marguerite Cleenewerck de Crayencour ; elle devint Marguerite Yourcenar.
Plus tard, cette nuit où ils firent sauter la banque du casino de Knokke le Zoote, deux se noyèrent au creux des polders glacés de la Hollande. Rembrandt fixa leur agonie dans une esquisse qu’il brûla avant sa mort. Ils marchaient toujours, métalliques, énormes et noirs. Au Danemark, ils s’assirent en rond pour écouter Hamlet, en Laponie, ils eurent froid et s’enduisirent de graisse de phoque. Ils ne regardaient jamais derrière eux, mais savaient que partout maintenant la peste ravageait les campagnes.
Quand ils atteignirent le Pôle Nord, ils surent que le voyage était terminé ; de leurs cornes, ils trouèrent la banquise, excavèrent le cadavre d’un auroch roux et partagèrent sa chair. Foudroyés, ils moururent tous en un éclair ; au même moment, en quatre-vingt-onze lieux d’Espagne et un de France naquirent des enfants idiots.
Datos
En décembre 1997 le Tribunal suprême d’Espagne rendit un verdict en faveur du maintien des taureaux Osborne en raison de leur « intérêt esthétique et culturel ».
À partir de 1998, le taureau Osborne cesse d’être un symbole strictement commercial. Bien qu’il ne soit pas officiellement un symbole de l’identité espagnole, les nationalistes catalans décident de le boycotter et abattent le seul taureau Osborne situé en Catalogne 1, à El Bruc. Il est alors remis sur pied avant d’être à nouveau abattu en août 2007 par un groupe indépendantiste appelé Hermandad catalana La Bandera Negra.
Actuellement, il existe quatre-vingt-onze toros Osborne en Espagne, distribués de manière très irrégulière. Alors que certaines communautés autonomes n’en ont pas (Cantabrie, Catalogne, Ceuta et la région de Murcie) et d’autres seulement un (îles Baléares, îles Canaries, Melilla, Navarre et Pays basque), l’Andalousie en a vingt-trois.
Patrice Quiot