Sang mêlé…

 

« Pour obtenir une race de taureaux ayant des caractères stables sur plusieurs générations, il faudra au départ avoir des reproducteurs mâles et femelles correspondant à une même race et aux caractères bien définis et homogènes chez tous. Mais au bout de quelques générations, on découvre le revers de la médaille : la consanguinité favorisera l’apparition ou la réapparition des tares anciennes, sans compter les faiblesses physiques, d’où l’intérêt d’avoir dans son élevage plusieurs familles de même origine mais de parenté éloignée. Avant qu’il ne soit trop tard, il faudra « rafraîchir le sang » en introduisant des éléments de même race, mais pris chez un confrère, donc sans consanguinité récente.

La technique de croisement de deux races distinctes est possible sans toutefois avoir une certitude de réussite. Pour cela, il faudra avoir une base pure ou du moins des caractères bien fixés pour chacune des deux races afin que les croisements donnent un produit homogène. Cette technique a été expérimentée par le Conde de Santa Coloma en 1905. Il éleva des Murube de Ibarra d’une part et des Saltillo d’autre part. Puis il croisa les deux races tout en gardant précieusement de côté les deux points de départ purs. Au début, il effectua des croisements sur un petit nombre d’éléments pour vérifier que les deux lignées « se lient bien », s’harmonisent et donnent de bons résultats que l’on ne pourra connaître qu’à l’âge de deux ou trois ans, ou mieux quatre ans. On intensifiera ensuite les croisements en multipliant les reproducteurs en tenant compte des goûts du ganadero, du public et surtout de la gent torera afin d’éviter l’impasse commerciale.

Lorsqu’en 1932, Joaquín Buendía reprit l’élevage du Conde de Santa Coloma qui avait perdu beaucoup de ses qualités, il repartit à zéro. Il récupéra des Ibarra et des Saltillo pour obtenir les sujets les plus caractéristiques de chaque race. De nouveaux croisements purent alors être réalisés, mais il fallut plus de dix ans pour pouvoir valider les résultats. La patience est une vertu ganadera ! La famille Buendía a remarqué empiriquement que le père et la mère transmettent leurs qualités et leurs défauts chez les enfants, mais aussi, et d’une manière encore plus affirmée, chez les petits-enfants. Il faudra donc attendre six à huit ans pour découvrir tous les gènes transmis ; très ennuyeux si on a affaire à un grave défaut.

Tant qu’on n’a pas le résultat des premières saillies, les sementales sont mis au repos dans un corral spécial pour mieux « fonctionner » le printemps suivant. Pour éviter les frictions possibles entre eux, on introduit en leur compagnie quelques jeunes erales qui calment leurs possibles ardeurs belliqueuses. Le ganadero est un homme humble ! Malgré tout le sérieux apporté à son élevage, il sait que le résultat n’est jamais acquis définitivement. On peut citer l’exemple de la famille Cuadri.

L’élevage avait de bons résultats dans les années soixante-dix. On sélectionna donc un semental qui avait obtenu des notes exceptionnelles en tienta. Mais en 1984, on dut l’éliminer ainsi qu’une soixantaine de vaches de ventre (soit la moitié de l’effectif de la ganadería). Une véritable catastrophe ! Après analyse, on comprit chez Cuadri qu’il n’était pas bon de mettre un mâle très encasté avec des vaches de fort tempérament. Il se produit dans ces cas-là un « choc » des caractères qui donne de mauvais résultats. On dit alors que le père et la mère ne « lient » pas bien. Il est préférable d’accoupler un semental brave mais plutôt mou (blando) avec des vaches très encastées, et inversement. Celestino Cuadri déclare, lui : « La ganadería es para que la disfruten los hijos » (Ce sont les enfants qui pourront tirer profit de l’élevage).

Cas connu aussi, et qui n’est pas rare, celui d’un taureau gracié dans l’arène (indulto) après un combat exceptionnel et qui, une fois revenu dans l’élevage, s’avère un mauvais semental. Autre exemple du mystère de la procréation, celui du semental Amistoso qui est le « père » de la ganadería Carlos Núñez.

Il liait bien avec les vaches d’origine Rincón, mais mal avec les vaches d’origine Villamarta. On notera aussi qu’un taureau peut, comme un humain, évoluer et donc changer de comportement au fil du temps, d’où les diverses techniques de sélection utilisées par les uns ou les autres. L’âge de la tienta peut varier (deux ou trois ans), tant pour la vache de ventre que pour le reproducteur. Certains éleveurs sont adeptes d’une nouvelle tienta un an plus tard, sachant que peut-être les bêtes ont, comme les humains, des bons et des mauvais jours suivant la forme physique ou les conditions climatiques, sinon l’humeur du moment… ? Une constatation troublante.

Felipe Bartolomé avait mis la main à la poche pour aider Jaime Buendía à acheter la ganadería du Conde de Santa Coloma. Lorsque l’élevage a commencé à être stabilisé, le partage eut lieu. Une part du troupeau à Morón de la Frontera et à Aracena pour la famille Buendía, et l’autre part à Lebrija pour Felipe Bartolomé, les deux élevages étant dirigés simultanément par Joaquín Buendía, soit le fils de l’un et le filleul de l’autre. On peut donc parler ici de deux élevages véritablement jumeaux. Or l’évolution de chacun fut différente, les résultats de Bartolomé étant nettement inférieurs. Cette différence ne peut être alors due qu’au terrain (sol et climat), seul élément différent d’après José Buendía y Cid, le propriétaire actuel. Cette opinion sur l’importance du terrain est partagée par d’autres éleveurs comme Paul Bonnet. »

Bernard Carrère.

« Observer pour comprendre un taureau de combat » /Chapitre 1 /Le choix des reproducteurs./Editions Passiflore 2017

 

Datos  

 

Bernard Carrère est né à Roquefort (Landes) où, enfant, il vécut la construction des arènes en bois et l’implantation de la novillada.

Le choc de la rencontre avec Paco Camino, dans ces mêmes arènes, le 9 août 1959, lui cheville au corps une « afición a los toros » qui ne le quittera plus.

Migrant à Bordeaux pour ses études à la faculté, il participera à la création de la « Peña estudiantina Paco Camino ».

Son activité professionnelle l’amènera à se fixer à Saint Paul-lès-Dax. Là, il rentrera tout d’abord à la « Peña taurine » de Dax, puis sera un membre fondateur de la rayonnante « Peña Campo Charro ». Enfin, il fondera avec ses amis « Les Tanneurs aficionados ».

Patrice Quiot