Petits riens…

 

« Le bon torero serviteur de la tauromachie pure ou s’y essayant ne lève pas le pied, ne torée ni sur la pointe des pieds pour se donner la possibilité de s’esquiver plus vite le cas échéant, ni sur les talons, en arrière, et le corps voûté, effacé au passage des cornes.

Le bon torero expose sa quiétude, son paisible courage, les pieds bien à plat, le plus naturellement du monde.

Le torero Curro Romero avait une hantise : qu’on voie ses bretelles. Cela aurait signifié une posture forcée, un expressionnisme de mauvais aloi devant le toro qu’il faut affronter comme si de rien n’était, comme en s’abandonnant. Le torero fait comme si. Il est le héros du comme si, du naturel comme artifice, un ange du dédain, du quant-à-soi et de la « verguenza », la vergogne.

Chacun évoque sa quête, son idéal : la « vérité » du toreo, la version qu’il en donne et ce qu’il s’interdit de faire.

On n’a jamais vu Antonio Ordóñez citer un toro de dos. D’autres, oui, lui, non. Une laideur, un péché, une hérésie ? Les trois. S’il pouvait par ailleurs être royalement je-m’en-foutiste, il ne pliait pas sur ce point.

D’autres, peu, s’interdisent les passes d’enjolivement nommées « manoletinas » au titre que ce n’est pas vraiment du toreo. On n’a jamais vu Curro Romero tomber à genoux pour toréer. Il se l’est interdit. Il réprouve. Ça l’aurait rabaissé à ses propres yeux. Il en aurait éprouvé de la honte. Ça se fait, pas lui. Sa tauromachie, il la veut chimiquement pure, selon son concept.

Rafael de Paula, un jour, en privé, lors d’une tienta a congédié vertement son agent apoderado. Pour faute morale et faute de goût. Il lui avait conseillé de taper du pied pour faire venir à lui une vache récalcitrante.

Cette raideur morale a pu tuer.

À Ronda le 21 mai 1820, Curro Guillen, torero de Séville où l’on estoque les toros a volapié se fait apostropher par un spectateur : « señor Curro, n’êtes-vous pas le roi des toreros ? Oui ? Alors tuez s’il vous plaît ce petit toro a recibir ». Il n’hésite pas, change sa position, se fait encorner, meurt en deux minutes.

Le torero cordouan Fermín Muñoz «Corchaito» torée « Distinguido », un mauvais toro à Cartagena. Il lui donne un mauvais coup d’épée mais le toro tombe. «Corchaíto» n’est pas satisfait. Il le fait relever, rate à moitié l’estocade mais «Distinguido» tombe à nouveau. « Corchaíto » demeure insatisfait. Il le fait relever une autre fois.

Distinguido lui transperce la poitrine et le tue. »

 

Sources : Scènes de l’éthique taurine (Cairn Infos)

Patrice Quiot