Nestor…

 

Il n’avait pas de bras.

Et pas de jambes non plus.

Un homme-tronc, c’est comme ça qu’ils l’appelaient.

Il ne pouvait pas courir avec ses voisins en jogging.

Et ne pouvait pas se battre avec ceux qui lui offraient des chemises à manches courtes.

Il avait des yeux qui ne voyaient pas la couleur des améthystes des Incas.

Des oreilles qui n’entendaient pas le cri des mouettes.

Il s’appelait Nestor Pachacamac.

 

C’est son père qui un soir de juerga d’ivrogne.

Lui avait gravé au couteau son nom sur la poitrine.

Il avait pour seul ami un nain noir, montreur de singes.

Tous les deux aimaient voir des toros mourir au soleil.

Tous les deux enviaient.

Cette beauté brutale qui allait et venait.

Le nain leur envoyait des poèmes.

Et les lui chantait.

 

 

A Arequipa, où il vivait, sa bouche en avait fait une légende, un héros.

Autant que Conchita.

Autant qu’Andrés.

De sa gorge d’infirme sortait une voix d’or.

Une voix qui s’éraillait comme les cantaores gitans de Paterna de Rivera.

Piquante comme la barbe des bergers.

Rude comme celle des chasseurs masaïs qui s’abreuvent du sang de leurs vaches.

Inquiétante comme celle des muezzins de Kaboul.

 

 

Mais aussi, une voix qui savait s’alanguir, qui réveillait les rêves des eunuques noirs caressant des gitons grecs à la cour de la reine de Saba.

Une voix qui portait aux étoiles le cri des torturés chiliens et le silence du désert d’Atacama.

Cette voix disait sa vie et ce qui lui importait :

 

« Le tranchoir du boucher et la roue du chariot transportant des animaux morts, la lune pelée et les mouches, les placards humides et les décombres, les saints couverts de dentelle, la chaux et la ligne blessante d’avant-toits et de miradors. »

Nestor était un cantaor troubadour.

Nestor était une figura.

Il chantait uniquement pour les pauvres qui le récompensaient d’un baiser sur la bouche et d’une feuille de coca.

Il aimait les grands arbres.

 

Un soir, avec le nain, ils se risquèrent de furtivos.

Pour « hacer la luna ».

Un toro criollo les tua tous les deux.

On jeta leurs corps dans un rio asséché.

Qui depuis roule des galets d’or.

Qui nourrissent des piranhas volants.

Et qui depuis Manaus hasta l’Atlantique.

Est devenu l’Amazone.

 Patrice Quiot