Etrange chronique d’une mort annoncée… (1)
Madrid, dimanche 16 mai 1920, rue Arrieta…
José Gómez Ortega «Joselito» s’est levé tôt. La veille, devant les toros de Carmen Federico, ça avait été un désastre ; à son second, une femme du tendido 2 l’avait insulté : «¡ Cobarde !».
Du 10, une voix avait crié : “ Qu’un toro te tue demain à Talavera ! ”. «Joselito» avait reçu un coussin sur la tête, laissé tomber sa muleta, s’était appuyé à la barrera et pris la tête dans les mains.
Ce matin du dimanche 16 mai, pendant qu’il s’habille, il entend la voix des gamins qui vendent la presse du jour: “La Tribuna, compre la Tribuna con el fracaso de Joselito”. Il boit une infusion de camomille pour essayer de calmer son estomac qui le fait souffrir.
A huit heures, il est à la Estación de Delicias pour prendre le train jusqu’à Talavera ; sur le chemin de la gare, des insultes ont fusé. Avec lui dans le compartiment, Fernando son frère, les membres de la cuadrilla, son ami Darío López, Leandro Villar, empresario de Talavera et apoderado de Sánchez Mejías, ainsi que le critique taurin Gregorio Corrochano.
Pendant le voyage, on discute de la corrida d’Albaserrada qui n’avait pu être lidiée le 15 pour défaut de présentation. « Los toros eran cortos de pitones » dit quelqu’un et «Joselito» de répondre : «Se desechan los toros cornicortos, esos que se llaman de poco respeto en la cabeza, porque cree la gente que no son peligrosos, que no pueden dar una cornada; y es lo contrario: Esos toros cornicortos son más certeros y rara vez enganchan sin herir.».
La corrida de ce 16 mai 1920 à Talavera s’était montée d’une façon bizarre : Venancio Ortega, le fils ainé de la ganadera la Viuda de Ortega, Doña Josefa Corrochano, avait loué la plaza pour y faire courir ses toros en un mano a mano.
A Madrid, il engagea Sánchez Mejías et, au vu de la contenance limitée de la plaza (5426 spectateurs), ils réfléchirent à un second torero qui ne coûterait pas trop cher. Gregorio Corrochano, neveu de la ganadera et cousin de Venancio Ortega, suggéra le nom de «Larita».
On partit sur ces bases. Plus tard, au café «Regina», Venancio Ortega rencontra Don Leandro Villar qui lui demanda:« Pourquoi ne pas mettre Rafael El Gallo qui fait une bonne saison et qui donnerait du prestige à l’affiche ? ». « Parce que la plaza ne peut pas se permettre une dépense de cet ordre ». « Si vous le souhaitez, je peux m’occuper de voir avec Rafael ce qu’il en est ».
La chose s’arrangea et le cartel évolua : Ignacio Sánchez Mejías et Rafael El Gallo.
Mais Don Leandro Villar, ami intime de «Joselito», lui fit état de la chose : « Pourquoi Rafael et pas moi ? ». « Tu es trop cher pour Talavera ». « Pas du tout ; je suis le torero le moins cher dans la mesure où c’est moi qui amène le plus de public ».
Et l’affiche de la corrida du 16 mai 1920 à Talavera de la Reina prit sa forme définitive : Plaza de toros «La Caprichosa» à quatre heures et demie de l’après-midi, six toros de la Viuda Ortega pour José Gómez «Joselito» et Ignacio Sánchez Mejías.
A l’arrêt de Torrijos, où ils décidèrent d’aller déjeuner, incident avec un serveur au sujet de la note ; insulté, «Joselito» en vient aux mains et pousse violemment le serveur contre un guéridon qu’il brisa dans sa chute. Le torero règle les 40 ptas du dommage causé ; une chanson populaire relate la chose :
“Cuando iba “pa” Talavera
el famoso y gran torero,
en la estación de Torrijos
riñó con un camarero.
Le puso de más dinero
que la cuenta presentaba:
Y como más le insultaba,
Le pego una bofetada
Joselito a él”.
Le train arrive à Talavera à 12h04. Malgré l’épisode de Torrijos, «Joselito» est de bonne humeur ; il va toréer dans l’arène que son père avait inaugurée en septembre 1890. En arrivant à l’hôtel «Europa», la cruche en terre sur laquelle est inscrit le nom du matador se casse. « Se partió Joselito » commente en un rire crispé le matador.
Il ne fait pas beau. La pluie qui n’arrête pas de tomber préoccupe Leandro Vilar qui en fait part à «Joselito». «No se apure D. Leandro que para suspender esta corrida tiene que caer el diluvio».
José fait une courte sieste. A 15h, Paco Botas, son valet d’épée, le réveille.
«Joselito» chante une copla consacrée à «El Espartero», celui du : “ Más cornás da el hambre” et qu’avait tué «Perdigón», le toro de Miura à Madrid, le 27 mai 1894.
Il y a un peu plus de vingt-cinq ans.
A quelques mois près, l’âge de «Joselito».
La copla dit :
« El toro era un criminal
de las dehesas de Miura
que al taurómaca valiente
lo llevo a la sepultura.
Adiós ya me voy…
Cuatro caballos jalaban
la carroza del torero.
Los sevillanos lloraban,
la muerte del Espartero »
A suivre…
(Source : Leales del Toreo)
Patrice Quiot