Etrange chronique d’une mort annoncée… (2)

 

Talavera de la Reina le dimanche 16 mai 1920.

Hôtel «Europa». 15h.

Sur une chaise l’habit de lumières : Rouge et or ; sur une autre le capote de paseo : Noir à fleurs rouges ; sang et deuil.

16h : Habillé de torero, «Joselito» part aux arènes en fredonnant à nouveau la copla consacrée à «Espartero».

 

Une autre chanson populaire dit :

 

 « ¡ Gallito !… ¡ El mejor torero !

 ¡ El más artista ! ¡ El primero !

 El que aquel día nefando 

llegó a la plaza cantando

 Las coplas de El Espartero ! »

 

La pluie a cessé et le soleil est revenu ; full house, l’arène et fabulous, la revente. 26 ptas le tendido de sol dont le prix officiel est de 5 ptas.

Avant le paseo, dans le patio de caballos, «Blanquet», le peon de confiance de «Joselito», sent une odeur de cire. Il y voit un tel mauvais présage qu’il préconise à «Joselito» de renoncer à toréer la corrida.

16h30 : La corrida commence ; avec José vont les picadores “Camero”, “Carriles” et “Farnesio”, les banderilleros «Blanquet», Cantimplas et « El Cuco », Fernando, son frère actuant de puntillero.

Les toros du jour appartiennent à la Veuve Ortega, ganadería de Talavera, ganadería modeste mais con casta, issue d’un croisement de vaches de Veragua et d’un semental de Santa Coloma.

«Canastillo », de pur sang Ibarra, est le papa des toros de ce 16 mai 1920. “Manigero”, “Golondrino”, “Carpintero”, “Batanero”, «Bailador » et Comisario”  ils se nomment.

Fins, longs de corps avec peu de cornes, la majorité d’entre eux est de robe noire ; tous ont cinq ans et portent les couleurs de la ganadería : Bleu et blanc, les couleurs de Talavera ; le blanc de la pureté de l’origine ; le bleu de la porte de la Gloire.

Règlementairement, «Joselito» brinde son premier adversaire au président de la course : “Brindo por el Presidente, por su distinguido acompañamiento y por el pueblo de Talavera, donde tenías muchas ganas de torear, porque esta plaza la inauguró mi padre, por cuya memoria brindo también la muerte de este toro”.

Ce sera le dernier brindis de sa vie.

Il ne se passe rien.

Il est aux environs de 18h10 quand sort le cinquième, «Bailador», «Danseur», noir jais, petit, court de cornes, vilain. «Bailador» pèse 240 kilos en canal, 460 en vif et est marqué du n°7.

Le toro ne plait pas à «Joselito» : “Ala pa dentro, Fernando que este toro no es pa ti” dit-il à son frère et “Cuidado con este toro que es peligroso” à Blanquet et Cantimplas.

«Bailador» fuit les capes, tue quatre chevaux et sort du tercio avec un défaut de vue. Ill voit mal de près. Ç,a ne se passe pas bien aux banderilles ni pour le «Cuco», ni avec Cantimplas. “Este toro nos va a dar guerra Ignacio” souffle «Joselito» qui ajoute “Mala cara tiene ese ladrón” quand il prend les trastos.

«Bailador» est aux planches dans le terrain d’un cheval mort ; charges courtes et imprévisibles ; «Joselito» demande en vain au «Cuco» et à  «Blanquet» de l’en sortir : « ¡ Quítate Enrique, que eztá er toro contigo, y por ezo no toma la muleta !”

Muleta por la cara, rien n’y fait. A la voix peut-être… «Joselito» arrive enfin à tirer le toro de la querencia et à lui donner deux passes. « Je le tiens, il est à moi » dit-il à la cuadrilla. Afin de lier la muleta, il recule en souriant.

Au même moment «Bailador» lui vient dessus, le prend à la cuisse et l’envoie en l’air ; avant que «Joselito»  ne retombe au sol, «Bailador» lui met la corne droite dans le ventre.

Il est 18h34.

 

«Me ha echao las tripas fuera, Blanquet » ; Joselito s’évanouit. «El Cuco», «Blanquet» y Paco Botas l’emportent à l’infirmerie. José qui comprime l’intestin qui lui sort du corps bredouille : « Mascarell ! Qu’on appelle Mascarell !» (Le médecin personnel de « Joselito »).

«Joselito» arrive à l’infirmerie mourant ; Les docteurs Luque, Muñoz, Pajares et Ortega lui injectent du camphre, de la caféine et du sérum. Une agonie. « Déjà luttent la colombe et le léopard ».

Sánchez Meíias en termine avec le sixième. Don Felipe Vázquez, le capelan du couvent de la Virgen del Prado, donne l’extrême onction à José Gómez Ortega qui meurt à 19h05.

 

Le parte facultativo est ainsi rédigé :

Durante la lidia del quinto toro ha ingresado en esa enfermería el espada José Gómez Ortega con una herida penetrante de 20 centímetros en la región inguinal derecha con salida del epiplón, vejiga e intestinos. Gran schock traumático y probable hemorragia interna: Otra herida en el tercio superior, parte externa del muslo derecho”.

On lui enlève du cou trois médailles : Une de la Macarena, une autre du Cristo du Gran Poder, une troisième dans laquelle est enchâssée une photo de sa mère. Paco Botas prend dans ses mains la coleta naturelle de Joselito et demande au picador Pedro Belmonte “Zurito Chico” de la cuadrilla de Sánchez Mejías de soutenir la tête de Joselito. “Farnesio” coupe la coleta et la donne à Sánchez Mejías qui l’embrasse avant de la donner à Rafael « El Gallo » qui, arrivé, n’a pu voir son frère avant sa mort. Rafael prend à deux mains la coleta et l’embrasse en pleurant.

En la enfermería de la plaza de Talavera quedó el cádaver de Joselito “ con su triste sonrisa, yerta y eterna en su rostro petrificada”.

Quand Belmonte apprend la nouvelle, il répète : « ¡ A Joselito le ha matado un toro ! ¡ A Joselito le ha matado un toro ! » et reste prostré sur un divan en regardant le tapis.

Ce 16 mai 1920, Jeanne d’Arc est canonisée.

C’était Il y a 38.351 jours.

 

Sources : https://lealesdeltoreo.blogspot.com/2020/05/.

 

Datos

La tête de « Bailador » fut vendue pour 5.000 pesetas à D. Vicente Fraile en présence du notaire Caravaca de Madrid.

Le corps de «Joselito» fut embaumé par les docteurs Fernández Sanguino y Muñoz Urra. On l’habilla du costume qu’il portait. Les délais ne permirent pas d’y ajouter la tunique de nazareno de la Hermandad de la Macarena.

« Chronique d’une mort annoncée » (titre original : Crónica de una muerte anunciada) est un roman court de langue espagnole, écrit par le romancier, nouvelliste et journaliste colombien Gabriel García Márquez, prix Nobel de littérature en 1982.

Il est publié pour la première fois en 1981 à Bogotá en Colombie, avant d’être édité en France par les éditions Grasset. Le roman est adapté au cinéma, dans le film Chronique d’une mort annoncée, de Francesco Rosi en 1987.

Patrice Quiot