Quelquefois j’ai peur…

«…It is a tale

Told by an idiot, full of sound and fury,

Signifying nothing ».

 

(C’est une histoire

Racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur,

Et qui ne signifie rien.).

 

Macbeth ( acte V, scène 5).

William Shakespeare (1564/1616).

 

 Quelquefois j’ai peur.

De ne plus pouvoir marcher.

Dans les rues de soleil, d’œillets et de jasmin.

 

De n’avoir plus envie.

D’abrazos.

Et de baisers.

 

De ne plus vivre la dérive.

De la locura de la fiesta brava.

Et de ses plaisirs interdits.

 

Quelquefois j’ai peur.

D’avoir peur.

De la vie qui file.

 

Des rides au front.

Des mains tavelées.

D’une respiration difficile.

 

Des regards compatissants.

De l’affection embarrassée.

Et des mots de circonstance.

 

Quelquefois j’ai peur.

De ne plus avoir l’envie de faire.

De ne plus aimer lire les livres et regarder les filles.

 

Leur préférant le froid.

La neige

La pluie.

 

De ne plus pouvoir m’asseoir dans les plazas de toros.

De fureur, de bruit, de musique.

Et de sang.

 

Quelquefois j’ai peur.

De m’arrêter.

De tirer un trait.

 

Noir.

Définitif.

Comme une cicatrice.

 

Terrible.

De conséquences.

Et vide de signification.

 

Quelquefois j’ai peur.

De ne plus connaître.

Les matins de départ vers des villes en fête.

 

Les péages automaticos des autopistas de la nuit.

Les toros de la carretera.

Les drailles de la marisma.

 

Les arrêts à l’envie.

Sous les canisses des ventas du bord des routes.

Et les coquelicots de Benalup.

 

Quelquefois j’ai peur.

Des souvenirs anciens.

De toros morts et des amis disparus.

 

Des voies empruntées.

Du peu que j’ai réalisé.Du beaucoup que j’ai manqué.

 

Du chemin.

Qui me reste à faire.

Et qui tient aujourd’hui sur la demi-page d’un cahier d’écolier.

 

Quelquefois j’ai peur.

De ne plus pouvoir écrire.

Raconter.

 

De ne plus pouvoir me la jouer.

Presque ridiculement a porta gayola.

Sur le ruedo de la page blanche.

 

De ne plus pouvoir essayer.

De donner à chaque matin un peu d’estrambord en esprit de cornes.

Et de faire de chaque phrase un farol d’affection.

 

Même si tout cela «est une histoire racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien».

De tout cela.

Quelquefois j’ai peur.

 

Patrice Quiot