Brindis a la juventud…
Sans vraie logique, décousu, sans vraie queue et avec pas de tête, sans réel corps de ponctuation et en un imbroglio de mots, ce brindis se nourrira des truites du Guadalete, boira le Pernod sur la terrasse en béton d’un mazet de la route de Sauve, se brûlera au feu des ferrades qui fera bouillir le puchero des vaqueros aux yeux clairs.
Ce sera ma prière païenne aux pipas des tendidos altos, mon incantation militante aux espinacas con garbanzos du «Serranito», aux lynx de la marisma et au vin de la tierra de Jerez, mon oraison dévote à un pasodoble de la banda de Rudy Nazy, au solo de trompette de «Nerva», aux pigeons de la plaza Santa Ana et mon salut en forme de drapeau rouge à ceux que j’aime.
Là-haut, dans le ciel, passe une paloma ; elle vous salue tous comme elle salue le toreo de Talavante, la demi-véronique de Morante, Cervantès et Chateaubriand, les crues du Vidourle d’Antoine Martin et le souvenir de nos parents.
L’oiseau divin bénit le petit déjeuner de café solo y tostadas quand le soleil commence à chauffer les pierres dorées des plazas de légende et caresse le figuier dont les frères de Palestine ont donné de l’ombre au Christ ; la paloma touche l’épaule de tous les toreros français que j’ai passionnément applaudis ; elle parcourt l’édition nîmoise du «Midi Libre» du jour, pointe du bec les corrales du Bd Natoire où un toro tua «Macareno», indique la route aux coches de cuadrillas qui vont arriver et chante Paul-Jean Toulet et l’été qui sera bientôt là.
Les poires de Jumilla, les abricots précoces de Cieza, le raisin de Blanca, le melon de Torre Pacheco, les citrons de Santomera, les vins de Yecla et les tomates de Mazarrón se grandissent du toreo d’Ureña et du : «Qu’est-ce que la vie ? Un furieux délire. Qu’est-ce que la vie ? Une illusion, une ombre, une fiction, et le plus grand des biens est peu de choses, car toute la vie est un songe, et les songes mêmes, songes » de Calderón de la Barca, songes à l’image des rêves de maison individuelle qui jamais ne se concrétiseront des gamines du Chemin Bas.
Dans le salon du «Gran Hôtel» de Salamanque le Viti tient la main de Conrado Abad Gullón, et, dans la calle Pastor y Landero, marchent Camino et Curro. De derrière deux cornes déboulent une anchoïade à «La Bélugue», un cèpe de cinq cent vingt grammes trouvé avec une amie un jour de tentadero chez Malabat et qui finit sa vie souterraine dans une omelette partagée à deux un midi de fringale, le rire de Molina, les médailles de Pepe Luis Segura, «L’Amatcho» et son perroquet du Bayonne d’Olivier Baratchart, «Le D’Artagnan» du Vic de Marcel Garzelli et «Les Pyrénées» du Mont de Marsan de Thomas Dufau.
Tirés du cajón des souvenirs, le hall du «Victoria» et celui de la «Burgalesa» de notre jeunesse, les toros de la carretera, une vuelta al ruedo du «Gitanillo de Paris» à Lansargues une branche de platane à la main, une pince de homard volée à une amie un soir «Chez Darcq» et Teruel à la table d’à côté, une sopa de mariscos amoureuse au Puerto, les colères somptueuses de Simon, l’anis de Chinchón à la douceur presque écœurante dans le récantou du patio de caballos des arènes de Dax, les cinq émeraudes sur la chevalière de Luis Álvarez comme autant de Puertas Grandes de César et les phares de la nuit aux étoiles qui illuminent les oreilles coupées.
Dimanche de Vendanges de mes dix-sept ans quand Puerta, Camino et Paquirri tuaient les toros de Germán Gervas, un matin de Noël à Amphise avec Blaise Cendrars dans la poche et le Mistral de mai 1989 des Guardiola de Christian. Et puis et puis, ces histoires, ces histoires qu’on oublie quand le soir tombe sur la Montagnette, que le sereno madrilène vous rappelle la vie qui passe et que l’odeur du raisin coupé embaume la lune qui vient taquiner les micocouliers et que sous les piles du pont de Triana un flot de tendresse roule vers Sanlúcar, l’Atlantique et le Gardon.
Niños, niñas, chiquillos, chiquillas, torerillos, torerillas, cette terre des toros, rare de joyaux naturels et de trésors d’humanité, est offerte à votre conquête : Si vous arrivez à la séduire, les chênes verts de Salamanque, les bruyères de Navarre, la dama de noche de Málaga, les orangers, citronniers et la madreselva de l’Aznalfarache seront vos sujets, les enganes de chez Espelly vos hommes-lige, les plants d’aramon et le génie de la Puebla del Río vos obligés, les brochets des roubines vos vassaux et les campesinos républicains fusillés par les Requetés en béret rouge vos troubadours.
Ce royaume là qui se limite à un horizon que pourrait contenir un seul pli de la carte de Cassini laisse deviner derrière son sky-line les immensités que décrivaient à la reine Hapsetchout les géographes de Thèbes.
Sachez, niños, niñas, chiquillos, chiquillas, torerillos, torerillas, que como lo deseo, si vous avez la chance d’en découvrir les clés, elles vous ouvriront bien des portes.
Patrice Quiot