Julio…
Julio Molina Geniz est né en 1936 à la Algaba (Séville) et après une carrière de novillero qu’il résuma très bien en un magnifique «Presentacion y despedida en Madrid el mismo día*», il exerça pendant le reste de sa vie l’excellent métier de banderillero sous l’apodo assez convenu, pas vraiment original mais tout à fait légitime de «El Algabeño».
Nous avions eu la chance de rencontrer cet homme en 1974 à Bayonne lors d’une novillada de La Guadamilla que toréait Lucien Orlewski «Chinito» compartiendo cartel avec Sebastián Cortés et Pedro Somolinos et depuis, Molina, le «Rubio», mon frère et moi étions devenus presque intimes.
Plus taurino andalou que Molina est impossible : De Tarifa à Jaén et de Santiponce à Hinojos, il connait tout ce qui bouge, respire, vit ou essaye de vivre dans le mundillo et se promener avec lui était un enchantement : « Quiot, te presento mi amigo Antonio, asesor de la plaza de toros de Dos Hermanas y maricón de toda la vida » ; « Quiot, te presento El Perdigín, nieto de Rafa Torres, casi hermano de Manolito Cortés, árbitro de fútbol de vez en cuando, cantaor flamenco a la «Venta Málaga» en la antigua carretera de Córdoba y muuuu buena persona» ; « Rubio, parate que llega este hijo puta de Paco, jefe de taquilla de la plaza de toros de Trebujena ; fijate Rubio, hace dos años, el día cuando Emilio armo un taco gordo en el pueblo, este cabrón me niegó una entra’ y me dejó sentao’ » ; « Quiot Chico, no molesta el cura y pregunta lumbre a la chuleta». (Il appelait ainsi un unijambiste portant béquille sur la jambe contraire et dont la silhouette sur le soleil couchant ressemblait ainsi étrangement à la chose nommée).
Essayer de fixer des choses précises avec Julio relevait du prodige. Par exemple, Molina appelait à 3h du matin : « Quiot, toreo domingo en Gradera (Le Grau du Roi in french) ; nos vemos , no ?. Si, claro que si, où et à quelle heure ? «Tranquilo, Quiot, no pasó na’ ; yo te localisaré ». ; et il me localisait impeccable. Le seul qui pouvait peut-être le concurrencer dans ce domaine était son grand ami Simón Mijares «El Duende», matador venezolano, intime de «Paquirri » autre joyau rare parmi les perles rares ou encore, écarlate comme la balise de bâbord du phare de l’Espiguette, roux comme une laitière de Jersey et ventre d’un distillateur du pays cauchois por delante, «El Diamante Rubio » qui lui portait une affection troublante.
Julio tombait souvent amoureux, faisait tout très lentement, était la plupart du temps en retard, ne nous accompagnait pas aux arènes quand la couleur du ciel ne lui plaisait pas, appréciait le port de «Ray Ban» aux verres en mercure fumé, mangeait peu, se satisfaisant de «un bocadillo fuerte », cultivait occasionnellement des orangers, tenait plutôt mal que bien la discoteca de son pueblo qui relevait plus d’un baisodrome qu’autre chose, se parfumait avec ‘Embrujo de Sevilla “el perfume que usaba mi abuela”, était convenu avec l’alcade de ne payer ni l’eau ni l’électricité de son logement au motif qu’il avait voté pour lui et, bien évidemment, parlait un andalou parfait, son français se satisfaisant de «Bonjou’» et « Meci » et quand Molina se mentalisait pour apprendre l’anglais, il commençait par noter les mots ou phrases sur des post-it qu’il collait sur le tableau de bord de sa bagnole, les répétant en conduisant avec la musique à fond la caisse et plus tard, lorsqu’il s’essayait à la langue de celui de Stratford upon Avon avec une autochtone qui, bien sûr, ne comprenait rien, il se contentait de lui dire : « No me entiendes ? Entonces no es inglesa ». Prévenant dans la gestion de son physique, il consultait selon les besoins «el médico del cuerpo », celui «de los ojos » ou encore «el de las piernas » et n’achetait jamais de tabac sur le paquet duquel était annoncé le risque d’impuissance demandant à la gachi qui le servait de lui préférer le paquet «lo del cáncer ».
En ce qui concernait l’entretien de son corps, il était d’une méticulosité extrême ; après la course et la douche et avant de s’habiller de calle, il s’enduisait, le visage, les pieds, les mains de multiples crèmes ou onguents dont le choix reposait sur l’unique qualité que « cada uno huele diferente ». Dans « Torero d’Or », François Coupry fit allusion à ce rite purificateur.
Il était de luxe Molina :
Pour connaître Séville pas la peine de monter dans la calèche ou de prendre un guide; Julio nous montrait tout : Les bistrots de travelos, les bistrots de putes, le «Pollo Dorado» où on mangeait le poulet le plus infâme du monde, la pension dans laquelle il avait enfilé son premier costume de lumières avant de faire de même avec une grosse allemande, le claque où l’archevêque avait ses habitudes, son piso de la Algaba où sur un paper-board encadré sur le mur du salon, il avait dessiné les symboles de sa vie et où apparaissaient à côté de la Maestranza et de lui-même clavant une paire de palos, un poste de radio, un joint d’herbe, une bouteille de skaï, le Rubio, mon frère et moi, la Pepi de Cádiz, le Guadalquivir, un poisson, le visage de sa mère. Et comme il se doit en commentant le tableau, il nous servait d’immenses whiskies Dyc coupé de «Trinaranjus» et d’un montón de glaçons dans des vasos tubo…
Le soir des jours où il toréait à Séville, Molina nous emmenait sur le barco, au milieu du Guadalquivir, lieu de tertulias hyper VIP. Assis entre Álvaro Domecq et J.A. Campuzano, une actrice de cinoche derrière et la cheffe du rayon poissonnerie du Mercado Lonja de Barranco devant, on écoutait Joaquín Vidal et Carlos Rojas commenter la course de l’après-midi en invitant sur la «silla eléctrica» sise entre eux les personnalités qu’ils choisissaient et qu’ils mettaient à la géhenne.
Deux fois en notre présence, Julio subit la torture en rigolant, évoquant ses actuaciones avec la gracieuse légèreté d’un papillon.
De luxe il était encore quand il nous montrait la garde-robe dans laquelle il rangeait ses vestidos de torear ; nous tombions de cul tellement il y en avait et encore plus de cul quand nous détaillions la qualité des trajes : Pelayo, Fermín, la Nati, tout ce qui se faisait de mieux dans le genre et quand nous le lui faisions remarquer, il nous disait simplement que les quarante-neuf fois où il avait toréé à la Maestranza il avait étrenné un costume neuf que, bien entendu il portait avec, en guise de corbatín, un foulard à pois.
Comme il ne savait pas bien lire et pas trop bien écrire, il est bien évident que la littérature lui cassait los guevos ; en ce qui concernait la musique, il préférait «Los amigos de Ginés » à Erik Satie, en termes d’architecture le pont de Triana à la pyramide du Louvre et quant à la politique, son opinion se résumait au peu de considération qu’il portait aux Catalans en général et le encore moins de considération qu’il portait à Roberto Espinosa ou à Enrique Patón.
Et puis, et puis… tantas otras cosas…
Datos
*Plaza de Toros Vista Alegre, domingo 25 de junio de 1961 : 6 hermosos novillos ; divisa rosa y negra de la famosa ganadería del Sr. Conde de la Maza, de Sevilla, serán picados, banderilleados y muertos a estoque por los siguientes espadas: Aurelio Saa “El Colombiano” ; Pedrín Calvo ; Julio Molina « El Algabeño » ; los dos últimos de Burgos y La Algaba (Sevilla), nuevos en esta plaza.
Patrice Quiot