Julio… (2)

 

Ainsi, à la fin de 1982, nous passâmes les fêtes de Noël chez mon frère à Golfe-Juan et Julio nous y avait rejoints. Emmerdé par le fait qu’il n’était pas tombé dans le rituel des cadeaux imbéciles dont nous nous étions fendus, il tint à se racheter de ce qu’il considérait comme une impolitesse manifeste de sa part.

Aussi, il me demanda de l’amener dans la plus luxueuse pâtisserie de Cannes où il acheta une bûche glacée qui devait mesurer un mètre de long et peser trois kilos. La caissière blonde et attentionnée nous précisa que la chose devait impérativement stationner dans le frigidaire pour éviter tout dégoulinement qui eut affecté l’architecture pâtissière. Mais, ce soir-là, le frigo étant plein, Molina et moi disposâmes subrepticement et délicatement le carton contenant la merveille sur le rebord de la fenêtre de la cuisine.

La soirée commença sous les meilleurs augures d’un apéritif très long et naturellement copieux ; après les incontournables huitres, mon petit frère adoré qui était allé chercher le foie gras qu’il avait bien évidemment sorti de l’appareil qui fait du froid poussa un juron excessivement grossier. Au vu de l’éducation reçue, cette intempérance de langage nous surprit jusqu’au moment où tous nous rendirent compte que le «paté» comme le nomment les espagnols avait été à moitié croqué par le chat que mon frère avait pourtant très gentiment accueilli dans son foyer.

Ce pauvre félin avait la particularité d’être aussi rose que le recto d’un capote de brega. Ce pelage relativement rare chez l’espèce, était dû au fait que, plus jeune, ce con de chat était tombé dans un pot de peinture et qu’il en avait conservé les stigmates. Le félin chassé et sa couleur commentée, le dîner se passa muy bien jusqu’au moment où il convint de sortir la bûche. C’est alors que le drame intervint ; après avoir été chassé, furtif tel le chacal de la marisma, le chat rose était revenu à la casa et, ne pouvant y entrer, s’était naturellement installé sur le carton d’emballage de l’auguste pâtisserie qu’avait vendue à Molina la caissière blonde et attentionnée.

Plus pâle que Don Tancredo, Molina constata le désastre qui, en fin de compte, n’était pas aussi désastreux que ce qu’on aurait pu imaginer dans la mesure où le cartonnage, estampillé NFQ12008 double cannelure, avait très efficacement protégé le pastel helado dont nous consommâmes les trois kilos.

Mais, connaissant le Moli, je m’attendais à une réaction de sa part et celle-ci vint à l’heure de la fine ; « Quiot, me dit l’andalou, demande à ton frère s’il veut que je lui tue le chat rose ? ». Etonné de la réponse négative à sa question, il se mit en devoir de nous expliquer que, tout jeune et en pleine guerre civile, il avait naturellement consommé du chat et que cette diète alimentaire lui faisait considérer ce type d’animal avec autant d’intérêt que Pascal Martin, le cuisinier de «Chez Nicolas» considérerait un sushi ou celui avec lequel Paul Laurent «Le Pape» aurait considéré un chèque bulgare. Molina nous précisa d’ailleurs qu’à Séville la consommation de chats – quoique interdite – était relativement usuelle.

Ça, c’était en décembre ; en avril de l’année d’après, nous nous retrouvâmes à Séville et un soir Molina dit à mon frère ou au «Rubio» : « Ce soir je vous amènerai à un endroit donde se come gato ». Et ce fut le cas ; dans un rade dans le quartier de la Alameda, sur la devanture d’un troquet, était peint en lettres blanches : « Hoy hay gato » et Molina crut bon de me préciser « Quiot, te lo digo yo ; ahi es un sitio de postín, el mejor de Sevilla pa’ come’ hato : Fijate Patricio : Hay hato con tomate, hato con ajillo, hato con patatas , ahi hay hato de todo la’o ».

Vous avez compris : Julio Molina Geniz «Algabeño» est un monstruo ; parlez-en à Marcou Romero, au «Chino» ou à Patrick Varin, et vous verrez ce qu’ils vous en diront.

Aujourd’hui, Julio Molina Geniz « Algabeño  approche les quatre vingtaine dix ans et, si j’en crois ce que l’on m’en dit, il est resté le même !

(Photo du cadre : de gauche à droite, Joël – frère de Patrice -, le Rubio – un copain des frangins -, Julio et… Patrice !)