« Le coup de corne avec son support anatomique, le coup de tête, est au centre des préoccupations du matador mais aussi des équipes de secours et du chirurgien-taurin. Le toro de combat est un animal d’une puissance considérable dont le poids peut avoisiner les 600 kg, qui peut se déplacer à 35 km/h et soulever jusqu’à 3 fois son poids. La corne est l’agent vulnérant principal du toro, elle constitue l’arme de défense naturelle et unique. Il ne s’agit pas d’une masse inerte comme la lame froide d’une arme blanche, mais d’un organe tactile riche en terminaisons nerveuses. Lors d’une cornada d’une profondeur de 10 cm, la pression évaluée par centimètre carré sous la pointe de la corne est de 3 tonnes.
La forme conique de la corne, la force du toro, les mouvements brusques de l’animal d’abord d’attaque puis de défense pour se sortir du corps blessé expliquent la variété des lésions par corne et leur particularisme. Le mouvement de flexion et extension du cou du toro associé à des mouvements circulaires quand il plante sa corne dans le corps étranger est à l’origine de multiples trajectoires dans les tissus et organes du torero. Le traumatisme taurin est d’une telle violence et souvent tellement multiviscéral que le torero blessé doit être considéré comme un polytraumatisé.
Dans une étude réalisée entre 1991 et 2002 et qui incluait 1 450 blessures par corne, 28 % des cas de cette série engageaient le pronostic vital immédiat du torero. Le toro porte son coup de tête sur l’obstacle de bas en haut. Les cornes relevées sont plus dangereuses au moment de l’estocade et les cornes dirigées vers le bas permettent au taureau d’atteindre plus facilement une cible au sol. Le coup de corne décrit en tauromachie se fait en deux mouvements successifs : la déflexion puis l’extension du cou. L’état des cornes du toro présente un intérêt dans la compréhension de la lésion induite par la corne. Une corne fine (astifina) provoquera une plaie franche car elle traverse les tissus. Une corne escobillada (en balais) ou astillada (fibres de cornes détachées en pinceau) provoqueront des blessures délabrantes, avec de grosses lésions tissulaires, des plaies irrégulières et laissent des corps étrangers dans les tissus que le chirurgien devra rechercher.
Les lésions occasionnées par les coups de corne sont classées en fonction de leur profondeur : varetazo, puntazo, cornada envainada (rare) et cornada…
La contusion (varetazo) : C’est une blessure de plat de corne. Le varatezo peut aller de la simple contusion cutanée associé à un hématome jusqu’à la rupture d’organes creux en fonction de violence du contact. Plus l’accélération à laquelle est soumis le centre d’inertie d’un organisme lors d’un déplacement est grande, plus la force appliquée au corps est grande et plus le risque de lésion est élevé. Lorsque le corps en mouvement est brusquement arrêté ou s’il est heurté par un objet contondant, l’énergie cinétique est en partie transférée à l’organisme au niveau de la zone d’impact. Les caractéristiques de la force appliquée à la zone d’impact ou de l’énergie cinétique transférée expliquent ainsi la sévérité des lésions de compression. La tolérance à la déformation et à la rupture dépend des caractéristiques physiques des tissus et des organes. 61 % des varetazo concernent le membre inférieur et 20 % le thorax et l’abdomen.
La plaie (puntazo) : Petite plaie donnée par la pointe de la corne avec une plaie peu pénétrante et n’ayant qu’une trajectoire, le puntazo est de bon pronostic. 56 % des puntazo impliquent le membre inférieur et 20 % la face et le crâne.
Plus rarement décrite, la cornada envainada est un coup de corne avec une invagination de la peau en doigt de gant. Cette cornada consiste en une pénétration en profondeur de la corne avec un ou plusieurs trajets, mais en respectant l’intégrité de la peau ou avec une minime solution de continuité, ce qui rend le diagnostic très difficile, car de l’extérieur seulement une contusion est apparente. Dans ces cas, des lésions internes du type perforation intestinale ou plaie vasculaire peuvent être masquées sous une apparence externe de varetazo (contusion) ou puntazo (plaie mineure).
La plaie par corne (cornada) : est une plaie pénétrante avec atteinte des plans profonds. Le taureau va armer son coup de corne grâce à la puissance de sa masse musculaire. La profondeur de la plaie est fonction de la force de pénétration, du poids et de la vitesse du toro au contact La plaie peut être très longue malgré la petitesse de l’orifice d’entrée. On considère qu’il faut multiplier par 10 la taille de l’effraction cutanée pour connaître la longueur de la plaie. Quand la corne pénètre de 10 cm, elle laisse un trou de 1 cm. Le torero suspendu en général au bout de la corne va changer de position en raison des mouvements de tête de la bête qui se débat et du fait de la gravitation.
Les lésions par coup de corne ne se limitent pas aux tissus affectés. La propagation de l’énergie et des lignes de force entrainent aussi des lésions à distance. La corne va brûler les tissus lors de son passage dans les chairs car animée de micro-vibrations. L’élasticité des vaisseaux permet en revanche à une corne non lésée de glisser sur les veines et artères sans dommage alors que la pointe de la corne qui présente des esquilles pourra plus facilement léser les vaisseaux et entraîner des hémorragies.
Les cornadas peuvent être multiples si le taureau reprend le torero au sol. La corne, en traversant le vêtement puis la peau, entraîne des débris accumulés lors des divers contacts (sable, poils, esquilles de corne, écharde de bois). La blessure par cornada est une plaie sale dont l’incidence d’infection varie de 22 % à 42 % selon les différentes séries. La flore bactérienne est mixte et comprend des germes anaérobies et des aérobies. »
A suivre…
Patrice Quiot