… Une autre raison qui justifiait la féminité du sastre était l’agilité manuelle nécessaire pour sertir dans les broderies du costume of lights les petits morceaux de reliques que, selon ces compères, exigeait la chasse prodigieuse. Cela allait d’éclats de la vraie croix à des touffes d’herbes du jardin familial en passant par les bondieuseries traditionnelles aussi nombreuses et variées que les fruits secs et les épices qui entrent dans la confection du Christmas pudding.
Allumé comme un sapin, Gilly crut pertinent d’ajouter qu’il avait lu quelque part qu’on y mettait aussi de petits oiseaux conservés dans le vinaigre. Frank se contenta de lui rappeler que ce n’était qu’une gourmandise très prisée par les grecs du Péloponèse.
Le pragmatisme britannique ne pouvait faire l’économie de l’utilité du costume car, in England, l’esthétisme se justifie souvent par un usage ; ainsi en est-t-il de ces plats à tarte dont le fond se soulève afin de décoller le « cake » sans l’aide d’un couteau ou du fabuleux « mop », sorte de balai espagnol miniature, qui permet de faire la vaisselle sans se mouiller les doigts.
Dans l’esprit de nos amis, le traje se devait donc d’avoir une fonction et c’est ainsi que tout naturellement se dégagea l’idée de protection sans pour autant qu’il devienne la carapace ou le bouclier qui aurait justifié le plastique moulé proposé par Frank. Aussi, même si le vêtement comportait genouillères et coudières, ils l’imaginaient avant tout comme une défense symbolique contre l’animalité au point qu’il leur paraissait normal que le costume fut d’autant plus élaboré et précieux que le toro était gros et méchant.
En outre, ils étaient convaincus qu’il existait un « patented » lien de cause à effet entre l’enveloppe du bullfighter et l’animal, comme si en quelque sorte une aura textile investie d’apports humains garantissait celui qui l’habite de la bestialité de son rival.
How much ? Combien ? Pour terminer – et c’est souvent le cas – nous parlâmes, argent, money, fric, dosh.
Combien pouvait coûter cette chose ?
Cher ? Pas cher ? Expensive ? Cheap ? Va savoir…
Le devis s’organisa à partir de l’a priori qu’une tenue de cricket, dont le prix varie entre 300 et 500 livres, ne pouvait valoir moins cher qu’un costume of lights.
Disons donc que, s’il est en soie au prix de 37 livres sterling le yard et qu’il en faille six yards et trois pieds on arrive à un peu plus de 220 livres de tissu sans compter bien évidemment la mercerie, qui, toutes les bonnes ménagères vous le confirmeront, coûte horriblement cher. Allez, si nous doublons le prix du tissu, on arrive à 450 livres, sachant of course que la façon est gratuite (cf. part one).
Tout le groupe s’accorda pour estimer que c’était là un prix raisonnable pour un pays pauvre et qu’en tout état de cause ce bloody suit ne valait pas plus.
De toute manière, at 3 o’clock pm, il était opportun de rentrer at home en faisant attention à ne pas se faire croquer par les cops qui patrouillaient dehors. Coiffés de casquettes galonnées de carreaux et embusqués au carrefour du termino de Maldon et de la carretera de Chemsford, ils seraient de toute évidence tout à fait disposés à saisir quatre lascars en goguette dont un Français boiteux, qui tous avaient bu too much beer.
Autre élément rédhibitoire, ces quatre-là, tous détracteurs acharnés de Margaret Thatcher, hooligans fanatiques de Felipe González et dévots idolâtres de François Mitterrand, parlaient d’une chose que trois d’entre eux n’avaient jamais vue.
C’est sûr que dans ces conditions, nous risquions de nous retrouver le lendemain devant les juges de l’Old Bailey qui nous auraient sans coup férir condamnés à convertir en onces fluides les litres de champagne qui les avaient enivrés le jour de la commémoration de la victoire des Malouines…
Patrice Quiot