Torero y Torah…
Dans le monde de la tauromachie des années 1920/1930, Sidney Franklin n’était pas seulement défini par sa citoyenneté américaine, son élégance ou sa personnalité mais également par sa judéité ; premier américain à avoir obtenu le statut de matador de toros en Espagne, il était «El Torero de la Torah», lochem shovarim en hébreu.
Franklin entretenait une relation compliquée avec son judaïsme ; né Sidney Frumkin au sein d’une famille juive orthodoxe dans le quartier Park Slope de Brooklyn, les querelles étaient incessantes entre le futur torero et son père traditionaliste. «Il était rempli de contradictions », explique Rachel Miller, directrice des services d’archives et de la bibliothèque au Centre d’Histoire Juive de New-York. «Aujourd’hui, nous avons une perspective complètement différente sur l’identité juive comme sur les impacts des traumatismes, ce qui n’était pas le cas il y a cent ans», ajoute-t-elle.
Miller a été intriguée par le milieu familial de Franklin dont les parents avaient fui l’antisémitisme en Russie et s’étaient établis à New York. Très tôt, Franklin s’oppose à son père, un agent de police qui punit sévèrement ses enfants. «Sidney s’est rebellé contre tout ce que son père défendait et ils ont eu une relation difficile ; en utilisant les termes d’aujourd’hui, ce père pourrait être qualifié de violent ».
A l’âge de 19 ans, Franklin quitte Brooklyn pour le Mexique ; c’est là qu’il va découvrir la tauromachie faisant son apprentissage auprès de Rodolfo Gaona ; nullement impressionné par le danger, il dit : « Si vous avez des tripes, vous pouvez faire n’importe quoi ».
Parti en Espagne pour assouvir sa passion il y rencontre Hemingway en 1929. L’auteur devient l’un de ses amis proches et immortalisera Franklin dans «Mort dans l’après-midi» : “Franklin est un brave, avec un courage froid, serein, intelligent. Loin d’être ingrat et ignorant, il est l’un des manipulateurs de muleta les plus talentueux, les plus gracieux et les plus lents… Son répertoire est immense mais il ne tente pas, en utilisant un répertoire varié, d’échapper à la performance de la verónica, à la base du travail de sa muleta et ses verónicas sont classiques, très émotionnelles, joliment réglées et exécutés. Il n’y a pas un seul Espagnol l’ayant vu se battre qui niera son art et son excellence avec sa muleta ».
Juif, il participait à certains rituels catholiques avant ses combats et laissait les religieuses prier pour lui, raconte sa nièce, Doris Ann Markowitz : « Quand quelqu’un lui demandait pourquoi il laissait des religieuses prier pour lui alors qu’il était Juif, il répondait que c’était parce que les taureaux étaient catholiques », se souvient-elle. « C’était une plaisanterie ; il ne prenait pas la religion très au sérieux». Mais comme le prouve le surnom qui lui avait été donné, son identité juive aura joué un grand rôle dans son existence du moins dans la manière dont les autres le considéraient.
Un autre aspect moins connu de son identité fut sa sexualité. «Desde pequeño sintió atracción por las artes, tanto plásticas como escénicas. Esto no gustaba nada a su padre que incluso le llamaba ‘Nancy’. Sobrenombre que le dedicaban a principios del siglo XX a hombres muy amanerados. ». Franklin était homosexuel, mais il n’a jamais abordé ouvertement ce sujet même si Miller affirme que son homosexualité était un secret de Polichinelle dans le milieu de la tauromachie.
Markowitz précise que la famille savait que Franklin était gay, mais qu’elle n’en a jamais parlé. Quand il rendait visite à ses proches, explique-t-elle, Franklin venait avec un valet nommé Julio, qui était également son partenaire amoureux. « Julio – nous l’appelions Julie – vivait avec nous, dans notre maison, dans notre sous-sol, avec mon oncle et c’était très facile de voir la relation particulière qu’ils entretenaient tous les deux ».
Et pourtant, Franklin aura tenté de cacher sa sexualité, racontant notamment une relation amoureuse avec une femme et autres escapades hétérosexuelles dans son autobiographie «Bullfighter from Brooklyn» écrite en 1952.
Miller indique qu’appartenir au milieu macho de la tauromachie aura permis à Franklin d’échapper à ces spéculations sur sa sexualité. Mais ce monde lui a également permis de l’exprimer d’autres manières. « [Franklin] a fait exploser cette image macho de lui-même et j’ai eu le sentiment que c’était un acte de révélation de son homosexualité mais en même temps un acte de performance ». Les premières photos prises alors qu’il posait pour la première fois dans son costume de torero montrent combien il aimait le côté glamour du toreo. « Il se regardait dans le miroir. Les heures passaient et il ne se lassait pas de se voir dans ce costume d’or et d’argent chatoyant ».
Si Marta Gellhorn, reporter de guerre qui accompagna Hemingway en Espagne en 1936 et qui deviendra sa troisième épouse, était opposée à la relation amicale de son mari avec Sidney, il semble que c’était parce qu’elle connaissait l’homosexualité de Franklin.
C’est peut-être pour se venger d’elle que Franklin a écrit dans son autobiographie que lui et Hemingway dormaient dans le même lit.
« Ser judío en la España de pertinaz sequía y conspiración judeomasónica, y homosexual, una mácula entonces con dos salidas, ocultarse en las sombras o dormir a la sombra de la cárcel por la aplicación de la ley de vagos y maleantes. Ese fue Sidney Franklin, un valiente, tanto que, en términos taurinos, toreó miuras en Tánger, el 13 de agosto de 1952, a punto de cumplir el medio siglo de vida, aunque le devolviesen el primero de su lote al corral al escuchar tres avisos ».
Quand sa carrière dans la tauromachie se termina, Franklin géra un café à Séville. En 1957, il fut emprisonné pour avoir illégalement conservé une voiture dans le pays, purgeant neuf semaines d’incarcération.
A sa libération, il retourna en Amérique du nord et partagea sa vie entre le Texas et le Mexique. Il s’est éteint en 1976, passant les dernières années de sa vie dans une maison de retraite.
Se remémorant la vie de son oncle, Markowitz se souvient d’une personnalité impressionnante. «Quand il pénétrait dans une pièce, il l’éclairait et était au centre de l’attention de tous».
Sources : « The Times of Israël » /10/06/2019./ »Mercurio »/22/12/2019
Datos
Sidney Frumkin «Sidney Franklin», né à (États-Unis) le 11 juillet 1903, mort à New York le 26 avril 1976.
Fasciné par la tauromachie, il va faire son apprentissage au Mexique en 1922 puis traverse l’Atlantique pour se perfectionner en Espagne. Ses premiers contrats lui sont offerts à Séville le 9 juin 1929 devant des novillos de Rufino Moreno Santamaría et se présente le 25 juillet de la même année à Madrid.
Né de parents juifs, il est obligé de quitter l’Europe pendant la guerre, mais dès 1945, il revient en Espagne où il prend l’alternative, à l’âge de quarante ans, le 18 juillet 1945 à Madrid, avec pour parrain « El Estudiante » et pour témoin, « Morenito de Talavera », face à des toros de Sánchez Fabrés.
Il se retire ensuite dans son pays et meurt à New York en 1976.
Franklin a été également acteur dans des pièces de boulevard, chanteur, acrobate. En 1932, il interpréta son propre rôle dans «The Kid from Spain», tourné à Hollywood, aux côtés de Douglas Fairbanks et d’Eddie Cantor.
La Torah est selon la tradition du judaïsme l’enseignement divin transmis par Dieu à Moïse sur le mont Sinaï et retransmis au travers de ses cinq livres (la Genèse, l’Exode, le Lévitique les Nombres et le Deutéronome) ainsi que l’ensemble des enseignements qui en découlent.
Elle contient, selon la tradition rabbinique, 613 commandements et comporte, outre la composante écrite, une dimension orale ultérieurement.
Patrice Quiot
