René, le mozo… (2)
A Nîmes, lorsqu’il n’était pas sur les routes, 2R déménageait beaucoup ; rue Dorée en face de la maison où habitait Lucien, un mazet à la route de Sauve pas bien loin de chez Nadine St Jean, «Le Nemausus» près de la rue de Barcelone où ont vécu Alain et Christian et puis encore d’autres adresses ; en quarante ans, 2R a déménagé près de vingt fois, désespérant les facteurs par sa volatilité, ce qui, entre nous, l’arrangeait beaucoup.
A la rue Dorée, il y avait toujours du monde et beaucoup de musique. Au mazet, il y avait moins de monde, autant de musique mais surtout de drôles de voisins ; par exemple, à l’occasion d’un mariage qui se célébrait chez l’un d’entre eux, on entendit cette belle phrase : «Arrête de battre ce vieux, qu’en plus c’est ton père» ; au mazet encore où on bénéficia de l’élégante réponse que lui fit la voisine lorsque René lui ayant précisé qu’il se refusait à faire castrer ses chats au motif qu’il ne voulait pas les priver d’un plaisir naturel, elle ajouta tout simplement : «Vous avez raison, c’est comme si à moi on me cousait la …».
Au «Nemausus», 2R entretenait avec soin ses plantes grasses qu’il exposait de la façon la plus experte aux rayons de soleil traversant de son appartement triplex aux escaliers en fer et où, pour éviter des dépenses trop onéreuses de facture de téléphone, il avait tout à fait involontairement fait une erreur en se domiciliant auprès du prestataire comme M. Ravillon.
Il connaissait Nîmes comme sa poche ; du Chemin Bas à St Césaire et de Calvas à Castanet, il n’y avait pas une seule rue qui lui posait un problème de localisation, pas le moindre troquet ou estanco où il n’avait jamais mis les pieds et en ce qui concernait les gens que nous fréquentions de près ou de loin, il était au parfum de tout de leurs vies, excellant dans la description de leurs qualités ou de leurs turpitudes ; un Google Map pour la topographie nimeña et un Mediapart qui aurait eu sa salle de rédaction aux «Caves Ste Eugénie» pour l’anecdote croustillante, il était.
Je dois quand même avouer qu’il était quelquefois curieux le 2R…
On avait l’impression qu’il traguait l’anecdote ; ainsi une fois, alors qu’il habillait de lumières un jeune becerrista dans une parcelle plantée d’aramon, le propriétaire du lopin le poursuivit armé d’un fusil Lebel en éructant un historique « Pas de pédé dans ma vigne ! ». Une autre fois, il décida de se marier ; tout était réglé, les papiers faits, bans publiés sauf que le jour et à l’heure convenus, la mairie de Nîmes l’appela pour lui dire que tout le monde l’attendait, l’adjoint avec l’écharpe, la famille endimanchée… Ils attendent toujours ; une fois nous fîmes le trajet Tartas/Dax en stop, lui avec la caja de montera et le fundón d’épées à la main, une fois encore, un dimanche de Pentecôte où le «Chino» toréait une corrida de Bohórquez, il me convainquit de la légitimité de donner un callejón à Jean Cantier que Simon haïssait avec les conséquences que vous imaginez en ce qui me concerne…
D’autres détalles raros : 2R mangeait très peu et quand il le faisait, manifestait un goût prononcé pour les morceaux d’oreilles dans le pâté de tête, ne pissait presque jamais, se mouchait le nez quarante fois par jour, fumait des «Peter Stuyvesant» qui coûtaient un bras, ne connaissait pas l’usage du chéquier et n’aimait pas beaucoup les gonzesses ; il ne sortit pas de son sapin avec la Croix du mérite militaire dans la mesure où la Grande Muette n’avait pas beaucoup apprécié le fait qu’il lui ait emprunté un camion chargé de fusils pour leur donner une destination autre que celle d’origine, il fit l’illustration photographique d’un des livres de Coupry, passa un peu de temps dans l’endroit qui se trouvait en face le patio de caballos des arènes et qui est devenu aujourd’hui le Palais de Justice ; plus tard, il apodéra des groupes de rock’n’roll et fit aussi une paire d’AVC quand personne n’en faisait.
Vous me direz que copain comme il était avec Julio Molina, Diego Bardon, Alain Steva, Jean Louis Flavien, fréquentant occasionnellement le Maño ou Manolillo de Valencia ainsi que le restau de Nîmes où se produisaient dans un spectacle de travestis «La Taupe» et l’ami Jean-Paul Journot et faisant par principe le dithyrambe de tout ce qui était jeune, guapito, français et qui s’essayait à tenir capote et muleta, on ne pouvait qu’être curieux ce qui ne l’empêcha pas d’être un excellent vendeur de machines agricoles Renault, de se taper des Salons de l’Agriculture à la Porte de Versailles aux frais de la boite au logo en losange, d’arranger le coup pour livrer à Michel Nodet, vigneron de son état, une machine à vendanger neuve au prix de l’occasion et, sur les conseils de son patron, de convertir en un petit capital retraite les sous qu’il aurait sans cet homme avisé dépensé dans des activités que la morale réprouve et dont l’épargne ne constitue pas le fondement.
Aujourd’hui, René Rabilloud ne va plus aux arènes, marche avec une canne, fait attention à sa santé, à ce qu’il mange et à ce qu’il boit, sauf les rares fois lorsque avec le «Chino» on se retrouve tous les trois et qu’on évoque tout ça…
(Communiqué)