L’appendice d’Ernest… (1)

 

A la fin des vingt chapitres de «Mort dans l’après-midi» (1932), le second appendice : «Quelques réactions individuelles à la course de taureaux intégrale espagnole (Les âges indiqués sont ceux où les personnes en question ont vu pour la première fois des courses de taureaux)» fait état d’observations notées par Hemingway.

Dans leur forme de procès-verbal, elles sont reprises ci-dessous :

« P.H. – 4 ans ; Américain ; mâle. Mené par sa nourrice à une course de taureaux espagnole à Bordeaux, à l’insu de ses parents, il s’écria, la première fois qu’il vit le taureau charger les picadors : « Il faut pas faire tomber le horsy ! ». Un peu après, il cria : « Assis ! Assis ! Je ne peux pas voir le taureau ! ». Interrogé par ses parents sur ses impressions de la corrida, il dit : « J’aime ça ! » Mené à une corrida espagnole à Bayonne trois mois plus tard, il parut très intéressé, mais ne fit aucun commentaire durant la course ; après, il déclara : « Quand j’étais jeune, la course de taureaux n’était pas comme ça. »

J.H. – 9 ans ; Américain ; mâle ; éducation : lycée français, un an d’école maternelle aux États-Unis. Fit du cheval deux ans. Autorisé à aller aux courses de taureaux avec son père comme récompense parce qu’il avait bien travaillé à l’école et parce que, son petit frère en ayant vu une, à l’insu de ses parents, sans mauvais résultat, il trouvait injuste que l’autre enfant, plus jeune, ait vu un spectacle auquel, à lui, on ne lui aurait par permis d’assister avant sa douzième année. Suivit l’action avec grand intérêt et sans commentaires. Quand les coussins commencèrent à pleuvoir sur un matador poltron, il chuchota : « Est-ce que je peux lancer le mien, papa ? ». Croyait que le sang sur la jambe droite de devant du cheval était de la peinture et demanda si l’on peignait ainsi les chevaux pour que le taureau les chargeât. Fut très impressionné par les taureaux, mais trouva que le travail des matadors avait l’air facile. Admira la bravoure vulgaire de Saturio Torón. Déclara que Torón était son favori : tous les autres avaient peur. Avait la ferme conviction qu’aucun torero, quoi qu’il fît, ne faisait de son mieux. Villalta lui déplut. « Je déteste Villalta ! » dit-il. C’était la première fois qu’il employait ce mot à l’égard d’un être humain. Quand on lui demanda pourquoi, il répondit : « Je déteste sa manière de regarder et sa manière d’agir ». Déclara qu’il ne croyait pas qu’il y eût de toreros aussi bons que son ami Sidney et qu’il ne voulait plus voir de courses de taureaux à moins que Sidney n’y prît part. Dit qu’il n’aimait pas voir les chevaux blessés, mais riait, sur le moment et après, à tous les incidents simplement drôles qui arrivaient aux chevaux. Quand il découvrit que les matadors étaient parfois tués, il décida qu’il préférait être guide dans le Wyoming ou trappeur ; peut-être guide en été et trappeur en hiver.

 

X.Y. – 27 ans ; Américain ; mâle ; éducation universitaire ; montait à cheval à la ferme étant enfant. Prit un flacon d’eau-de-vie pour aller à sa première course de taureaux ; y but plusieurs fois dans l’arène ; quand le taureau chargea le picador et frappa le cheval, X.Y. fit une brusque et bruyante inspiration ; but une gorgée d’alcool ; répéta cela à chaque rencontre du taureau et du cheval. Semblait à la recherche de sensations fortes. Doutait de la sincérité de mon enthousiasme pour les courses de taureaux. Déclara que c’était une pose. Il ne se sentait aucun enthousiasme et disait que personne ne pouvait en avoir. Est toujours convaincu que l’amour des courses de taureaux, chez les autres, est toujours une pose. N’aime aucune espèce de sport. N’aime pas les jeux de hasard. Amusements et occupations : boire, vie nocturne, bavardage. Écrit, voyage ».

A suivre…

Patrice Quiot