Il y a longtemps : Plaza de Sta. Ana, 14, 28012.Madrid…

 

Madrid.

Un samedi soir.

 

Terrasse de l’hôtel Victoria.

A la vue le cadran de l’immeuble de la Poste et le Teatro Real.

 

«Qu’est-ce que la vie ? Une illusion» écrivait Calderón de la Barca.

« Qu’est-ce que la vie ? Une ombre, une fiction» écrivait Pedro le Madrilène.

 

En fond, une sirène de voiture de police.

Et la circulation en un léger murmure.

 

Chambre au plafond blanc.

Couleur sable du cuarto de baño, couleur abricot des rideaux et du couvre lit.

 

Luis Miguel et Ava.

Toreo y belleza.

 

Couloir aux nuances.

De rouge et de brun.

 

Kitsch et mauvais goût.

Gourmette et montre en or des parvenus du mundillo.

 

Moquette.

Au motif de sortes d’insectes se faisant face.

 

«La métamorphose» de Franz Kafka.

Et le costume aux abeilles de Curro.

 

Escalier.

Rampe en laiton ou ascenseur.

 

De abajo hacia arriba.

De maletilla a figura.

 

Marbre, patine.

Et poulies d’un confort suranné.

 

Rien ne bouge.

Mocassins vernis débarrassés de la poussière des ruedos.

 

Hall et dôme de lumières.

Murs roses, arrangements floraux.

 

Ordre bourgeois.

Celui de Santiago Martín de Salamanque.

 

Bustes de la reine Victoria.

Fauteuils profonds, tentures empesées.

 

Effluves de décadence.

Celles de Proust.

 

Art taurin.

De peintres pompiers omni présent.

 

Galerie du convenu.

Sous les néons du vide.

 

Bar «Manolete».

Exposition permanente de photos de Cano et deux factures signées par le Monstre.

 

Noir et blanc.

Ombre et lumière.

 

Et la chambre 406.

Celle de l’attente, la sienne, à jamais.

 

Pas de Wifi.

Pas de lounge, un monde ancien.

 

Celui des ganaderos.

Des fincas aux deux mille hectares, hautains de leur lignée.

 

Dans le lobby de l’entrée.

La banque Simeón et un magasin de fringues.

 

Espagne des contraires.

De la portative à la Real Maestranza.

 

Des ombres passent.

Devant les portes en transparence de verre.

 

Un monde d’ailleurs.

Ignorant des secrets.

 

Dehors.

La Plaza del Ángel et les pigeons.

 

A côté.

La «Burgalesa», la « Viña P», la «Cervecería Alemana» et les odeurs de friture.

 

Qui rappellent.

A certains ce d’où ils viennent et à d’autres ce qu’ils n’ont jamais connu.

 

Demain, dimanche.

Le dernier client quittera les lieux.

 

Fermeture.

Pour une autre vie.

 

C’était l’hôtel Victoria.

Plaza de Sta. Ana, 14, 28012.Madrid.

 

Il y a longtemps.

Il y a des millions d’années.

 

Datos

 

La construction du Grand Hôtel Reina Victoria a commencé en 1919 sur le site occupé par le palais du comte de Teba, où Prosper Mérimée a commencé à écrire «Carmen» et où a grandi Eugénie de Montijo, épouse de Napoléon III.

 

Construit par l’architecte moderniste Jésus Carrasco y Encina, l’hôtel est un bâtiment historique de ce mouvement architectural. Depuis son ouverture en 1923, le Grand Hôtel Reina Victoria, ainsi nommé en l’honneur de l’épouse du roi Alphonse XIII, a été considéré comme un symbole d’élégance et de luxe dans la capitale d’Espagne.

 

Avec l’avènement de la République en 1931, l’hôtel a perdu son titre royal, qu’il n’a pas retrouvé avant d’être rebaptisé en tant qu’hôtel Tryp Reina Victoria en 1989.

 

Mais cela n’a pas empêché les célébrités de continuer à venir dans cet hôtel emblématique. Au cours des six dernières décennies, il est devenu le centre du monde de la tauromachie. Manolete logeait dans la chambre 406. Luis Miguel Dominguín, Florentino y Flores, Joselito, Ruiz Miguel, Palomo Linares, Rafael de Paula, Bombita, Pedrés, Mazantini, Arruza, Antoñete, El Viti et Victor Mendes, entre autres, ont fait de l’hôtel leur sanctuaire privé.

 

Hemingway a séjourné à l’hôtel plusieurs nuits et l’a mentionné dans un de ses livres. Ava Gardner a également été fascinée par son atmosphère…

Patrice Quiot