L’Andalousie d’Antonio : Oh tierra en que nací…
« ¡ Oh tierra en que nací !, cantar quisiera.
Tengo recuerdos de mi infancia, tengo
imágenes de luz y de palmeras,
y en una gloria de oro,
de lueñes campanarios con cigüeñas,
de ciudades con calles sin mujeres,
bajo un cielo de añil, plazas desiertas
donde crecen naranjos encendidos
con sus frutas redondas y bermejas;
y en un huerto sombrío, el limonero
de ramas polvorientas
y pálidos limones amarillos,
que el agua clara de la fuente espeja,
un aroma de nardos y claveles
y un fuerte olor de albahaca y hierbabuena;
imágenes de grises olivares
bajo un tórrido sol que aturde y ciega,
y azules y dispersas serranías
con arreboles de una tarde inmensa;
mas falta el hilo que el recuerdo anuda
al corazón, el ancla en su ribera,
o estas memorias no son alma. Tienen,
en sus abigarradas vestimentas,
señal de ser despojos del recuerdo,
la carga bruta que el recuerdo lleva.
Un día tornarán, con luz del fondo ungidos,
los cuerpos virginales a la orilla vieja. ».
Oh terre où je naquis !
« Oh terre où je naquis ! Je voudrais la chanter.
J’ai des souvenirs de mon enfance, j’ai
des images de lumière et de palmiers,
et dans une gloire d’or,
de clochers lointains avec des cigognes,
de villes avec des rues sans femmes,
sous un ciel indigo, de places désertes
où poussent des orangers flamboyants
avec leurs fruits ronds et vermeils ;
et dans un jardin sombre, le citronnier
aux branches poussiéreuses
et aux pâles citrons jaunes
que reflète l’eau claire du bassin,
un arôme d’iris et d’œillets
et une forte odeur de basilic et de menthe ;
images de grises oliveraies
sous un soleil torride qui étourdit et aveugle,
et de montagnes bleues et dispersées
sous les rougeurs d’un soir immense ;
mais il manque le fil qui noue le souvenir
au cœur, l’ancre au rivage,
ou ces souvenirs ne sont pas de l’âme. Ils ont
sous leurs vêtements bigarrés,
qui montrent qu’ils sont des dépouilles de la mémoire,
la charge brute que le souvenir garde.
Un jour imprégnés de la lumière des profondeurs,
les corps virginaux s’en reviendront à l’ancien rivage.»
Antonio Machado.
(Fin du poème 125 de «Campos de Castilla).
Lora del Río, 4 avril 1913.
Datos
Antonio Machado naît à Séville le 26 juillet 1875. Il est le fils du folkloriste andalou Antonio Machado Álvarez«Demófilo» et le frère de Manuel, né un an avant, également poète et de José, peintre. Il est aussi le neveu de l’écrivain romantique Agustín Durán.
Sa famille s’installe à Madrid en 1883 et les deux frères rejoignent l’Institution libre d’enseignement. Durant trois ans, et avec l’encouragement de ses professeurs, Antonio se découvre une passion pour la littérature. Il perd son père en 1893, alors qu’il n’a que 17 ans. Il fait plusieurs métiers, dont celui d’acteur. En 1899, il se rend à Paris avec son frère, qui avait obtenu un emploi de traducteur à la maison Garnier. Il entre en contact avec les poètes Jean Moréas et Paul Fort et d’autres figures de la littérature contemporaine, dont Rubén Darío et Oscar Wilde.
En 1901, il publie ses premiers poèmes, dans le journal littéraire Electra. Son premier livre de poésies est publié en 1903 sous le titre Soledades.
La même année, Machado se voit offrir une place de professeur de français à Soria. Il y rencontre Leonor Izquierdo Cuevas, avec laquelle il se marie en 1909. Il avait 34 ans et Leonor 15 seulement. Le couple se rend de nouveau à Paris en 1911. Pendant l’été cependant, Leonor, atteinte de tuberculose, doit retourner en Espagne où elle meurt le 1er août 1912 quelques semaines après la publication de Campos de Castilla.
Très affecté, Machado quitte Soria pour ne jamais y retourner. Il va vivre à Baeza, dans la province de Jaén, en Andalousie, où il reste jusqu’en 1919. Une nouvelle édition de Campos de Castilla est publiée en 1916, incluant des poèmes relatifs à la mort de Leonor.
Entre 1919 et 1931, Machado est professeur de français à Ségovie, plus proche de Madrid, où habitait son frère. Les deux frères se rencontrent régulièrement et collaborent dans de nombreuses pièces de théâtre à succès. Il a une liaison secrète avec Pilar de Valderrama, une femme mariée, qu’il évoque dans ses poèmes sous le nom de Guiomar. En 1931, il proclame la République à Ségovie, en hissant le drapeau républicain sur l’hôtel de ville de Ségovie au son de La Marseillaise. Antonio Machado a aussi des préoccupations philosophiques et incline à l’édification morale. De là viennent des séries d’apophtegmes et de brefs essais qu’il publie à la veille de la Guerre civile d’Espagne sous les noms d’Abel Martín et de Juan de Mairena.
Lorsqu’éclate la Guerre civile d’Espagne, en juillet 1936, Antonio Machado est à Madrid. Il se trouve séparé pour toujours de son frère, qui vivait en zone nationaliste et avait choisi de soutenir le camp franquiste. Antonio, lui, met sa plume au service du parti républicain.
Il écrit un poème évoquant l’exécution de Federico Garcia Lorca (El crimen fue en Granada). Machado est évacué avec sa mère, Ana Ruiz, et deux de ses frères, Joaquim et José, à Valence, puis en 1938 à Barcelone. À la chute de la Seconde République espagnole, ils sont contraints de fuir vers la France. Arrivé à Collioure, à quelques kilomètres de la frontière, épuisé, Antonio Machado y meurt le 22 février 1939, trois jours avant sa mère.
Antonio Machado est enterré à Collioure, tandis que Leonor a sa tombe à Soria.
« Machado dort à Collioure.
Trois pas suffirent hors d’Espagne.
Que le ciel pour lui se fit lourd.
Il s’assit dans cette campagne.
Et ferma les yeux pour toujours… ».
Écrivit Louis Aragon.
Patrice Quiot
 
								

