Sueño de gloria..  (2)

 

Mais après l’idée, il convenait d’assurer la mise en pratique.

Dans un premier temps, les Lozano convoquèrent tous les maletillas à la plaza de toros de Carabanchel ; la réponse fut massive, prenant de l’ampleur de semaine en semaine au fur et à mesure que la notoriété de « La Oportunidad » grandissait.

Dans un second temps, ils contactèrent le journaliste Emilio Romero, directeur du journal du soir «Pueblo» qui s’associa au projet.

«Pueblo», qui à l’époque consacrait une part importante de ses éditions à la tauromachie, devint la voix de «La Oportunidad» et le journal madrilène de la rue Huertas, propriété «Los Sindicatos Verticales»*, la caisse de résonance de Vista Alegre.

Ainsi, à la une de «Pueblo» du mercredi 3 juin 1964 on pouvait lire: « Les jeunes toreros auront leur chance. C’est Luis Miguel Dominguín qui la leur offre par l’intermédiaire de «Pueblo». Samedi prochain, dans la soirée, six jeunes toreros revêtiront le costume de lumière à Vista Alegre. »

Et aussi : « Très peu d’aspirants à la gloire remplissaient les conditions requises par les la réglementation taurine et Domingo Dominguín a dû se mettre en quatre pour régler la question auprès du syndicat concerné où tout s’est déroulé sans encombre et les «carnets» seront prêts. L’âge moyen des toreros est de dix-sept ans et aucun d’entre eux n’avait, au moment de remplir le formulaire, de domicile fixe ou provisoire à Madrid ».

Cette médiatisation fit que les Lozano et Romero attirèrent des milliers d’aficionados et de non aficionados à Vista Alegre. Beaucoup faisaient la queue aux guichets, faisaient marcher la revente, plusieurs milliers restant dans l’incapacité de trouver des places dans la mesure où toutes étaient vendues.

Du mercredi 3 au samedi 6 juin, il se passa beaucoup de choses.

Par exemple comme le rapporte «Pueblo» dans son édition du 4 juin, on apprit qu’Antonio Bienvenida avait commencé à donner des cours aux maletillas annoncés lors de la première novillada.  » Le capote se tient comme ça, le toro est attendu comme ça… Il faut faire attention à ça… « .

“La Oportunidad” était en marche, imparable, prête à entrer dans l’histoire.

Le vendredi 5 juin, «Pueblo» poursuivit son bombardement informatif, expliquant dans le détail à son lectorat « L’essayage des costumes de lumières de location que firent les six maletillas ». L’un d’entre eux déclara au journal : « Ça vaut la peine de vivre juste pour se regarder dans le miroir et se voir comme ça… ».

On pouvait y lire aussi: « Lorsque les clarines de la peur sonneront demain, tous avaleront leur salive. Ce sera alors le moment de vérité. Seuls les meilleurs pourront passer à autre chose. Les autres, même si c’est cruel, resteront au bord du chemin. La Fiesta est ainsi faite et les six maletillas qui auront leur chance demain le savent très bien ».

Et le jour de la première novillada arriva.

Dans l’après-midi, le journal rapportait que le « réalisateur Orson Welles allait tourner un documentaire sur les maletillas de Vista Alegre »  et il ajoutait : « Grâce à l’opération menée par Pueblo, dans quelques heures, six jeunes aspirants toreros, feront le paseo au son d’un pasodoble torero. Leur heure de gloire est enfin arrivée ».

Et le soir du 6 juin 1964, alors que « près de 2 000 personnes ne purent entrer à Vista Alegre pour assister à la première novillada des maletillas » défilèrent: Fortuna, «El Coriano», «El Trapense», Fernando Serrano, Alba y José Antonio Pina.

A la fin du spectacle, un groupe de maletillas fit le tour du ruedo portant une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Les maletillas saluent le public et remercient le journal «Pueblo» et l’empresa de Vista Alegre pour cette oportunidad ».

Datos

De juin à septembre 1964, 21 novilladas d’oportunidad furent organisées à Vista Alegre. Et des centaines de toreros demeurés inconnus en côtoyèrent d’autres qui firent leur chemin : Palomo Linares, Ángel Teruel, Curro Vásquez, La Capea, Roberto Piles et aussi des banderilleros comme Federico Navalón «El Jaro» ou un torero comique comme  «El Platanito» et d’autres comme le bailador Antonio Gades ou le cantaor Camarón de la Isla, qui ne connurent pas le succès comme toreros, mais dans ce qu’ils firent plus tard dans leur registre artistique.

L’Organisation syndicale espagnole, communément appelée Syndicat vertical ou Organisation syndicale ou encore par son abréviation CNS, était la seule fédération syndicale ayant existé en Espagne entre 1940 et 1977, durant la dictature franquist . Pendant près de quarante ans, elle fut le seul syndicat légalement autorisé.

Tous les travailleurs et employeurs, désignés comme « producteurs » dans la terminologie franquiste, étaient légalement tenus d’être membres du Syndicat vertical. L’Organisation syndicale fut créée après la fin de la guerre civile, tandis que d’autres organisations syndicales antérieures, telles que la CNT anarchiste et l’UGT socialiste, furent interdites et contraintes à la clandestinité. Cela n’empêcha pas des organisations clandestines, comme les Commissions ouvrières ou le Syndicat des travailleurs, de s’y infiltrer.

Après la mort de Franco et le début de la transition, le gouvernement d’Adolfo Suárez décida de dissoudre le Syndicat vertical, alors fortement infiltré par les Commissions ouvrières et le Syndicat des travailleurs. Cependant, l’ancienne structure syndicale fut maintenue et transformée en Administration institutionnelle des services socioprofessionnels (AISS), organisme chargé de la gestion des vastes archives documentaires et du patrimoine immobilier des Syndicats verticaux…

Patrice Quiot