De nada a todo : Le tueur d’ombres…

 

Au début, il était avec les autres, plein d’autres, des milliers, des millions d’autres.

Il était un sur 7,8 milliards d’autres.

Un soir, il avait calculé le ratio et s’était dit que ça ne faisait pas grand-chose.

Il était rien.

Il n’existait pour ainsi dire pas.

Alors, le soir du ratio lui vint l’idée d’exister, d’être enfin quelque chose, de ne plus être rien.

Il s’essaya à écrire, mais il ne connaissait pas les mots.

Il s’essaya à chanter, mais sa voix s’étouffait.

Il s’essaya à composer de la musique sur des lignes, à peindre sur des toiles ou des murs.

Mais les lignes devenaient courbes.

Les toiles se déchiraient et les murs tombaient.

Il s’essaya à tout, mais rien ne fit et il n’existait toujours pas.

Il apprit que dans des pays du Sud, en se mettant devant des bêtes noires on pouvait exister et ne plus être rien.

Il y alla.

Quand elles le virent, les bêtes noires se moquèrent de lui parce qu’il n’existait pas.

Elles lui donnèrent des coups de corne au ventre.

Il y alla pour rien.

Aussi, il s’enferma dans un couvent avec de gros livres et de gros moines savants.

Il lut.

Il lut tout.

Et aima la physique des matières et les fines choses qui la composent, qui s’unissent, qui se fissionnent.

Oui, il aima ça, la fission.

Les gros moines lui fournirent ce qui fallait.

Ca faisait longtemps qu’ils attendaient de voir fissionner.

Il travailla un peu, pas beaucoup, juste ce qu’il fallait pour écrire la formule qui devait tout résoudre.

On enferma la formule dans une coque d’acier qu’on embarqua dans un cerf-volant qui lâcha l’objet.

Ça fit un grand boum et un petit champignon.

Et puis, plus personne, du noir, du froid, plus personne même pas les gros moines.

Il eut peur de ce qu’il avait fait et se dit qu’il aurait dû étudier la plomberie.

Comme il était maintenant tout seul, il repensa aux bêtes noires qui lui avaient donné des coups de corne au ventre.

Il retourna dans les pays du Sud pour les leur rendre.

Dans les pays du Sud, les bêtes noires avaient disparu.

Mais restait leur ombre.

Leur immense ombre.

Il tua les ombres.

Alors, seul au monde, il fut tout.

 

Patrice Quiot