Le laminaire de Pampelune…
J’ai connu Pamplona dans les années soixante. Et donc le parcours de l’encierro que j’ai commencé à étudier sérieusement, en dehors de la présence des bébêtes sur le parcours et cela m’a pris beaucoup de temps car avant d’y mettre les pieds, je tenais à m’assurer qu’il ne m’arriverait rien de bien grave.
Pas question de me mettre dans Santo Domingo où la manade sortant des corrales court plus vite qu’une médaille d’or olympique du 100 mètres, ni dans Mercaderes encore moins passer le virage à droite toute, ni dans le début d’Estafeta où le péril est grand puisqu’il n’y a pas de possibilité de se cacher.
Mais, malin, j’allais appliquer un principe appris en hydraulique pendant mes études d’ingénieur : les écoulements laminaires et les turbulents. Il me faudrait choisir le laminaire où justement il y a moins de risques puisque l’écoulement n’y est ni chaotique, ni tourbillonnant. Donc autant se positionner à l’extérieur d’une courbe qu’à l’intérieur. L’endroit appelé Telefónica correspondait exactement à ce que je cherchais. En plus, je n’aurais à courir que sur une trentaine de mètres, devant les toros et surtout pas dans le groupe (s’il ne s’était pas étiré durant la course), et aurais les doubles barrières de bois extérieures où je pourrais trouver refuge en y sautant ou les enjambant le cas échéant. En effet, j’avais remarqué que la manade virait serrée à gauche – où chacun des toros s’ils s’étaient éparpillés pendant leur escapade urbaine -, couraient alors seuls, avant de descendre vers la plaza en se déplaçant à nouveau vers sa droite où là, à nouveau, il y avait danger.
Je démarrais alors au moment idéal. Comme on ne voyait pas directement la manade tant il y avait du monde, je savais moi où elle était exactement en regardant les flashs des appareils de photos sur les balcons bondés de monde surplombant la rue Estafeta.
J’ai donc appliqué stricto sensu pendant des années ce principe à chaque fois que je pouvais y être présent. Sans aucun danger. Mais je pouvais dire que j’avais couru l’encierro, ce qui me mettait parmi les vrais « mozos corredores de Pamplona ». En étant toutefois à des années-lumière du risque pris par les vrais coureurs, les divinos, qui eux sont dans le berceau des cornes des toros. En fait moi, je regardais passer les toros en étant parti devant eux et en étant à l’abri quand ils passaient.
Ce matin, en regardant les informations sur une chaine espagnole, un groupe de personnes parlait d’une « estafa » dans l’immobilier. Estafa étant un mot inconnu pour moi, hop direction le dictionnaire. Lecture : estafa se traduit par « arnaque ». Estafeta est donc un diminutif « petite arnaque ».
J’ai donc couru dans la « rue de la petite arnaque » !
Mon Dieu, que cette dénomination est criante de vérité …
Mais heureusement, moi je ne l’ai appliquée qu’à sa fin, donc mes frasques peuvent déjà être pardonnées. Ce d’autant que quelques jours après l’arrêt définitif de mes coursettes, toute la manade s’est déplacée justement là où je me positionnais naguère, et a fait un véritable grabuge parmi les présents, un des toros de Jandilla d’ailleurs massacrant le divino Julen Madina dans le porche d’entrée de la plaza en le laissant quasi pour mort.
Quelle idée saugrenue a eu cette manade de passer au régime turbulent ?
Merci aux principes laminaires de Venturi. Et je peux me persuader quand même d’être un retraité des encierros pamplonais.
Mais vous savez maintenant que cette appellation est à peine contrôlée.
Ouf !
Et Bonne Année, le temps s’y prête.
Denis Guermonprez.


