« Il naît à Séville en 1891 dans une famille aisée. Son père est médecin. Pour ses fils, José, le «bon fils», et Ignacio, le fils rebelle, il a fait ce même choix professionnel. Très jeune, Ignacio éprouve une vive passion pour les taureaux, il court les fêtes de village en compagnie de deux futures étoiles de l’arène : José et Rafael Gómez Ortega, Joselito et Rafael el Gallo, « en quête d’une occasion de s’exposer devant les cornes des taureaux », mais face à l’incompréhension paternelle, il s’embarque clandestinement sur un paquebot à Cadix, en compagnie d’un ami qui, comme lui, rêve d’aventures.
Après diverses péripéties, il aboutit au Mexique où il essaie vainement de percer comme novillero. De retour dans la péninsule, il doit, malgré quelques succès, se contenter d’être banderillero dans la cuadrilla de Joselito dont il épouse la sœur, Lola. Orgueilleux, opiniâtre, il tente encore sa chance comme novillero, et, cette fois, réussit à s’imposer, si bien qu’en 1919, son beau-frère, Joselito, lui confère l’alternative à Barcelone. Il a alors vingt-huit ans.
Ignacio est un torero vigoureux, un athlète au style « lourd et rugueux », différent donc du toreo preciosista, mis à la mode, quelques années auparavant par Juan Belmonte. Il n’en fascine pas moins les publics d’Espagne et d’Amérique. Plus que courageux, l’exigeant critique Eduardo Rebolledo le considère « despreocupado con los toros » (« insouciant devant les taureaux »). Ignacio, dont l’engagement est total lors de chaque corrida, semble ignorer le danger, en particulier quand, faisant preuve d’une audace insensée, il pose les banderilles.
Malgré plusieurs blessures graves, il devient rapidement l’un des toreros les plus en vue, surtout après la mort dans l’arène de Joselito à Talavera de la Reina en 1920. Il se retire à la fin de la temporada de 1922 pour revenir en 1924, avant de se retirer de nouveau en 1927.
Il peut dès lors donner libre cours à sa passion pour l’art et la littérature. Il s’éprend de la Argentinita (Encarnación López Júlvez, 1895-1945), talentueuse danseuse et chanteuse, dont il sera l’amant jusqu’à la fin de sa vie. Il l’accompagne dans ses tournées, fréquente les artistes, les écrivains, en particulier les poètes que l’on désignera plus tard sous le nom de « génération de 1927 » : Alberti, Alonso, Diego, Guillén, Salinas, Villalón et Federico García Lorca. Il écrit et fait jouer avec succès à Madrid et à Santander deux pièces de théâtre (Sinrazón et Zayas), entreprend la rédaction d’un roman et donne des conférences.
La nouvelle voie dans laquelle il s’est engagé ne le satisfait pas, l’inactivité lui pèse, son « besoin profond de se battre contre une réalité dure et de la maîtriser » le conduisent à revenir dans l’arène.
Ses amis, dont García Lorca, essaient en vain de l’en dissuader. Ignacio a quarante-trois ans, il a grossi de quinze kilos et doit se soumettre à un régime sévère et à des exercices épuisants qui déclenchent chez lui une sciatique. Il surmonte tous les obstacles et le voilà en habit de lumières dans les arènes de Cadix, le 15 juillet 1934. Il s’y montre brillant, aussi courageux que naguère. Sur la lancée, il triomphe à Saint-Sébastien ; le 5 août, il torée à Santander, où ses amis poètes sont venus l’acclamer, tous sont là sauf Federico, qui ne veut pas le voir affronter les taureaux. Le lendemain, il est à La Corogne et, le 10, à Huéscar (150 km au N-O de Grenade). Son contrat suivant est pour le 12 à Pontevedra, à l’autre bout de l’Espagne.
Après la corrida, il envoie sa cuadrilla par la route à Pontevedra : C’est un long voyage de 1200 km sur les routes souvent non goudronnées de 1934. Lui-même part aussi par la route avec l’intention de s’arrêter quelques heures à Madrid. À un passage à niveau, le gardien lui remet un télégramme : Domingo Ortega, blessé, lui demande de le remplacer au pied levé à Manzanares (S-E de Madrid), le lendemain 11 août. Ignacio accepte. Quand il arrive à Manzanares, il apprend que la cuadrilla d’Ortega refuse de toréer avec lui. Il lui faut donc trouver dans l’urgence picadors et banderilleros. Bien que très contrarié, il ne renonce pas, car il a donné sa parole à Domingo Ortega.
Après le paseíllo, il aperçoit au premier rang José Bergamín et lui lance : « Vous avez eu tort de venir. Quand je torée à contrecœur, je suis mauvais ».
En commençant la faena de muleta de son premier adversaire, « à cinq heures de l’après-midi », assis sur le marchepied (estribo), il est pris par le taureau Granadino. La blessure de douze centimètres de profondeur à la face interne de la cuisse provoque une forte hémorragie, bien que l’artère fémorale ne soit pas touchée. Le torero est transporté par ses péones à l’infirmerie très sommaire des arènes.
Le médecin de service arrête tant bien que mal l’hémorragie et administre au blessé des piqûres de caféine pour le réanimer. Ignacio demande à être transporté à Madrid (190 km) à la clinique de son ami, le Dr Segovia, spécialiste des blessures des toreros. Comble de malchance, l’ambulance tombe en panne en chemin. Finalement, elle arrive à Madrid tard dans la nuit. Ignacio est opéré à l’aube plus de douze heures après la blessure. Son état s’aggrave le jour suivant, 12 août. La gangrène s’est déclarée et l’emporte le lendemain 13 août à 9 h du matin.
Federico ne veut pas le voir (« Je ne veux pas voir le sang d’Ignacio »), ni à l’hôpital, ni sur son lit de mort. Quelques jours après la disparition de son ami, il commence à écrire un long poème dont il donne lecture le 4 novembre à quelques amis. Il l’intitule : Llanto por Ignacio Sánchez Mejías, le dédie à la Argentinita et le publie en mai 1935.»
Datos :
Jacques Issorel
Date de naissance : 1941
Docteur en espagnol (Montpellier 3, 1986). – Professeur d’espagnol à l’Université de Perpignan
Membre de la « Fondation Antonio Machado » de Collioure
Hijo adoptivo de Morón de la Frontera
Ouvrages publiés : « Collioure, 1939: les derniers jours d’Antonio Machado »
Patrice Quiot