Elle était vêtue de noir : Une couleur assortie à sa chevelure.

Elle avait la peau très blanche et les lèvres peintes en rouge ; elle ressemblait un peu à Maria Casarès dans « Orphée ».

Elle était descendue d’une automobile d’une ancienne marque soviétique.

Elle était entrée dans le café du pueblo.

Son chauffeur vêtu d’un imperméable et coiffé d’une casquette l’attendait.

Il répondait au nom de Piotr.

Dans le café, presque en face de la mairie, il y avait Paco, le patron : un grand, un peu gras.

Assis près de du poste de télé, il y avait Juan.

Juan avait 89 ans.

Il était communiste et avait été torero.

La cliente entra dans le bistrot, salua le patron puis Juan et s’assit dans un coin. Quand le patron lui demanda ce qu’elle désirait boire, elle répondit : « Un tinto de verano .»

Elle arborait une étoile sur le cœur.

Juan leva les yeux.

Le timbre de la voix avait attiré son attention.

Puis il la regarda.

La cliente en noir lui sourit.

Cela donna de l’audace à Juan qui se leva et vint s’asseoir à sa table.

Le patron grand et un peu gras observait la scène.

Juan semblait dans un autre monde.

Il regarda la cliente en noir avec une infinie tendresse et lui murmura des mots.

La cliente en noir lui sourit encore.   Le patron apporta le tinto de verano.

La cliente en noir but son verre d’un trait, se leva et alla payer.

Le patron les vit sortir ensemble.   De la grande vitre du café, il les suivit des yeux.

Ils allèrent s’asseoir sur le banc de la petite place de l’Ayuntamiento toute proche.

Ils parlèrent ensemble pendant un court moment.

La cliente en noir déposa un baiser sur la bouche de Juan.

Juan trembla doucement.

Elle se leva du banc et attendit près de la route que Piotr arrive. Elle monta à l’arrière de la voiture qui quitta le pueblo en direction de Huelva.

Le patron sortit de son café et alla rejoindre Juan demeuré sur le banc.

Juan ne put répondre à ses questions.

Il ne pouvait rien dire, ni faire, mais, maintenant, il savait.

Trois jours plus tard, Juan assista à une cérémonie.

Vêtu d’une veste marron, il portait une casquette de campo.

Il faisait un temps glacial.

Sous le pont du pueblo, la rivière grise roulait des galets d’or et les truites étaient mortes depuis longtemps.

Le maire remit à Juan une attestation qui officialisait son statut d’ancien torero rendu infirme.

Juan la serra dans ses mains blanches.

Le soir même, quand le jour commençait à décliner, Juan tomba dans son jardin.

Quatre jours après, il mourut.

Quand on vida sa maison, on  y trouva un carnet.

Sur une page  étaient inscrits une date et un lieu.

Une reseña jaunie relatait l’acto en quatre lignes.

Sur la page opposée, un dessin malhabile représentait, étroitement unis, une immense paire de cornes, une table de cordonnier, du sang, une muleta en forme de cœur, une croix et une faucille rouges.

En dessous, en caractères cyrilliques, on pouvait lire un nom, la date d’un jour de juillet 1956 et une signature.

Un brin de romarin séché ornait la signature.

Patrice Quiot