D’un côté, les toreros de « parné », ceux qui apparaissaient aux  premiers postes de l’escalafón de l’époque, celle où « il n’y avait pas de naïfs » disait le Guerra.

Référence à des toreros tels que Domingo Ortega, Manuel Bienvenida, Marcial Lalanda, El Niño de la Palma, Cagancho ou El Estudiante, entre autres.

Toreros punteros et riches, propriétaires terriens qui voyaient leurs terres et leurs ganaderías menacées par l’arrivée de la République mais qui, en raison des circonstances, furent, pour certains d’entre eux, contraints de faire le paseo à Las Ventas, le poing levé, en août 1936.

Après quoi, la plupart d’entre eux s’installeront dans la zone nationaliste ou, comme ce fut le cas de Cagancho, s’exileront.

À un point diamétralement opposé, des subalternes et des novilleros en mal, comme la grande majorité des espagnols, de joindre les deux bouts.

Certains de ceux-ci formeront la fameuse 96e brigade mixte de l’armée populaire républicaine, parmi lesquels Litri II comme chef de brigade, Fortuna Chico en tant que commandant de bataillon et Parrita comme capitaine de compagnie.

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Et d’autres encore : Luis Mera, José Sánchez «Madriles II», Luis Ruiz «Lagartija», Adolfo Guerra, les matadores Bernardo Casielles, Enrique Torres Herrero, Silvino Zafón «El Niño de la Estrella» ou encore Saturio Torón, «le Lion de Navarre».

Et aussi, les banderilleros Francisco Galadí y Joaquín Arcollas  qui accompagnaient García Lorca  lorsque, le 19 août 1936, entre Viznar et Alfacar, ils furent assassinés par des milices franquistes.

Susto de guerre civile :

« Le 15 août 1936 à Ciempozuelos, un prêtre est jeté dans un corral de toros. Qui le tuent. Ses tortionnaires lui coupent une oreille et font une vuelta avec. A Badajoz, on fusille des républicains dans les arènes. Un journaliste américain proche du Front populaire, Jay Allen, invente la rumeur de prisonniers républicains piqués, banderillés, tués comme des toros, en public, dans cette même Badajoz. Et Hemingway ? Claramunt ne le ménage pas. Pour lui, Ernesto est venu en Espagne «pour se divertir». Il a été envoyé et bien payé par la North Américan Newspaper Alliance pour couvrir le conflit du côté gouvernemental, comme le lui avait demandé l’organisme de presse américain, et il s’est plus occupé de vodka-caviar au bar Chicote à Madrid et des «jambes de soie» de la journaliste Martha Gellhorn que du front, où on l’aurait peu vu. A la différence de sa maîtresse. Il était venu en Espagne avec un secrétaire-chauffeur : son copain le torero de Brooklyn Sidney Franklin, qui avait apporté ses habits de lumière pour faire le malin dans les hôtels. Hemingway écrivait en 1936 qu’il se gelait à Madrid et que c’était «une mauvaise guerre». Il ajoutait : «Je crois qu’aucun des deux camps n’a raison.» Il balancera aussi sur les volontaires anglais des Brigades internationales: «La lie, la scorie absolue… Des lâches, des simulateurs, des menteurs.» Sous la plume d’Ernest, Malraux en prend aussi pour son grade. Il a selon lui abandonné l’Espagne en février 1937 «quand la guerre commençait réellement».

Fernando Claramunt achève son ouvrage par un bel hommage à Miguel Hernandez, condamné à trente ans et un jour de prison pour ses activités politiques, qui refusera toute compromission avec le régime de Franco et n’abjurera jamais sa croyance révolutionnaire. A 32 ans, le berger au cœur indomptable de torero et aux poumons crevés mourra en prison «comme un toro de lidia dans la querencia des barrières». Son cercueil sera porté a hombros par les autres prisonniers.

Fernando Claramunt, República y Toros. Editions Egartorre, Madrid 2006» (Jacques Durand « Libération «  du 10/05/2007)

Cas singulier :

Celui  de l’indicible Rafael Gómez Ortega, qui, à l’été 1936, vivait reclus et ruiné dans une auberge de Madrid, sans se laisser troubler par le désordre dans les rues.

A l’automne 1936, il torée à Castellón, Linares, Jaén et Barcelone, cette dernière corrida à la demande des organisateurs de la CNT (Confederación Nacional del Trabajo, organisation anarcho-syndicaliste fondée en 1910 à Barcelone) afin de récolter de l’argent pour le syndicat et distribuer la viande des toros après la corrida.

Ce sera la dernière temporada de Rafael Gómez.

Rafaé passa le reste de la saison à Madrid, dans une pension de la calle San Jerónimo, d’où il  se rendait au « Café Suizo » pour y tenir ses tertulias… comme s’il n’y avait pas de guerre !

Alors que celle-ci  se prolongeait, Serrano, son valet d’épée avait ouvert une épicerie, « Los Hércules », dont on attribuait la propriété à Rafael, raison pour laquelle l’endroit était connu à Madrid sous le nom d’ « El colmao del Gallo ».

Ouvrir une épicerie dans un Madrid assiégé, une  extravagancia  du « Divino Calvo » parmi  tant d’autres…

… Ainsi un commentaire qu’on dit être le sien à la gare d’Atocha, en voyant avec étonnement un bataillon d’infanterie s’embarquer dans un train de marchandises:

« Mais… Qu’est ce qui se passe avec tous ces de soldats ? »

« Que voulez-vous qu’il se passe, maestro?  C’est la guerre ! »

« La guerre? Mais, est ce que  les Maures ont  ressuscité ? ».

Datos 1936 :

– Dès le lendemain des élections de 1936, qui voient la victoire du Frente Popular, des complots se forment, notamment avec les généraux Sanjurjo, Mola, Goded, Fanjul, et, plus en retrait, Franco.

Le gouvernement, informé de ces conspirations, a pour seule réaction de déplacer les hauts responsables soupçonnés loin de la capitale : Emilio Mola est muté à Pampelune, Franco aux îles Canaries. La première réunion des conjurés a lieu le 8 mars 1936 à Madrid ; l’insurrection est prévue pour le 19 ou le 20 avril, sous la direction de Sanjurjo, en exil au Portugal depuis sa tentative ratée de coup d’État de 1932.

Mais Mola reste en position de force : muté dans une région qui est probablement parmi les plus antirépublicaines d’Espagne, il peut comploter à loisir. Le 5 juin 1936, il élabore un premier projet politique fondé sur la disparition de la république et sur l’unité de l’Espagne. Dès juin, les contacts se tissent entre conjurés. Le coup d’État doit être retardé car Mola a quelques difficultés pour obtenir le soutien des milices carlistes de Navarre, qui exigent un retour à une monarchie conservatrice.

L’assassinat du monarchiste Calvo Sotelo par des militants républicains le 13 juillet 1936 met le feu aux poudres. Les militaires décident de lancer l’offensive les 17 (au Maroc) et 18 juillet (péninsule), sans objectif politique autre que le renversement du pouvoir de gauche.

Dès le 18, les troupes nationalistes débarquent dans le sud de la péninsule et plusieurs garnisons de la métropole se rallient à la rébellion. Contre les troupes nationalistes, le gouvernement républicain décide alors de mobiliser les milices ouvrières et demande à la population de prendre les armes…

– Le premier gouvernement Blum a été formé à la suite des élections législatives d’avril 1936 qui voient la victoire du Front populaire. Léon Blum devient président du Conseil à partir du mois de juin et est à la tête du premier gouvernement à dominante socialiste de la IIIe République.

– « Les Armes et les Lettres » : Littérature et guerre d’Espagne (1936-1939) d’Andrés Trapiello traduit de l’espagnol par Catherine Vasseur /La Table Ronde.

– « La Brigada de los Toreros », de Javier Pérez Gómez./ Almena Ediciones.

Patrice Quiot