Nous sommes le 30 mai 2004 et, ce jour-là, on célébrait les Ferdinand.

A Nîmes, comme à Bezouce et comme à La Charité sur Loire.

Ce dimanche matin dans le callejón, sous la présidence, l’élégant portait une chemise bleue pâle légèrement entrouverte, un pantalon beige un peu tirebouchonné et un chapeau de paille siglé «Radio France Gard-Lozère ».

Une tenue qui conviendrait pour prendre le petit train qui va au Grau du Roi.

Avec les cannes à pêche, l’épuisette et la gamelle contenant la biasse de midi.

Mais qui n’était pas a priori vraiment adaptée à la situation.

Celle d’un ganadero de postín lidiant un matin de dimanche de feria de Pentecôte dans une plaza de primera.

Pourtant, cette tenue lui allait bien à l’élégant.

Très bien même.

Beaucoup, mais vraiment beaucoup  mieux en tout cas que celle que portaient certains et certaines assis en barrera !

Logo «Boss» sur le tee-shirt et la montre Rolex au poignet pour lui ; jeans «Dolce & Gabbana», décolleté sur gros nichons et les lunettes  «Dior» à branches dorées pour elle.

Je crois d’ailleurs que tout lui serait bien allé à l’élégant.

Il y a des gens comme ça.

Quoi qu’ils se mettent, ça leur va bien !

Ça passe crème.

Et d’autres non.

L’élégant faisait partie du premier groupe.

Il s’appelait Juan-Pedro l’élégant.

Grand, mince, visage délicat, front haut, bouche fine et nez droit.

Plus proche de ce qu’était Mauriac jeune que de ce que sera Cyril Hanouna vieux.

Il était né à Séville, avait soixante et un ans et on ne peut pas vraiment dire qu’il était vraiment dans la misère.

Une allure de Mauriac à l’époque où il écrivit «Le nœud de de vipère».

Aussi à l’aise derrière un bureau  que le François devant une page blanche, légèrement moins cul béni, mais avec un peu plus d’aisance sur la selle d’un pur-sang anglo-arabe pour la pratique de l’acoso y derribo !

« Anheloso », était  né au cours de l’hiver 2000.   Et avait passé toute sa vie à «Lo Alvaro»/ El Castillo de las Guardas.

Sur la paletilla droite, il portait le numéro 62.

Sur la cuisse, le V surmonté de sa couronne ducale.

Sur le morrillo, la divisa rouge et blanche.

A chaque oreille le señal : Puerta de lanza.

Dans son patrimoine génétique, les vieilles origines Veragua, Parladé, Pedrajas et l’apport Conde de la Corte.

Et sur sa carte de visite, le titre de « Ganadería Real » du souverain Ferdinand VII.

Ça aussi, ça passe crème !

«Anheloso», donc, « promena sans retenue ses 460 kg de caviar sur l’immense nappe de l’amphithéâtre romain » comme l’écrivit sans emphase aucune le sympathique Patrick Louis dans «La Dépêche» du 31 mai.

L’élégant, lui, n’écrivait pas, laissant ce soin à Paco Cardenas, son mayoral, mais s’attachait plutôt à regarder si, à la main d’Enrique, son pencu manifesterait les bonnes manières de ses origines et de son éducation.

Comme il a oublié d’être manch, du moins en ce qui concerne les toros, et comme il l’avait fait trois ans avant avec  «Descarado » de VdR, le torero de Chiva fit vite ce qu’il y avait à faire.

C’est ainsi que, sur le coup des 13h30, le gominé de Málaga sortant par où il était entré, Enrique, Tejela et l’élégant sortirent en triomphe après, qu’avec l’appui bienveillant du palco, eut été exhibé le mouchoir orange.

Indulto qu’à l’apéro et à des motifs philosophiquement entendables, certains contestèrent.

Hay gente pa’ tó…

Ce fut à la buvette des arènes que je revis l’élégant.

Je consommais en toute sérénité un demi de bière quand, soudain, renversé par un extraño malheureux du coude du voisin de comptoir, le houblon fermenté se retrouva sur la manche de ma chemise.

Le coude appartenait à l’élégant.

Sorry de la chose, il s’en excusa d’une façon fort civile et, bien évidemment, me proposa d’échanger le renversé par un qui ne l’était pas.

C’est ainsi qu’après les félicitations d’usage, nous échangeâmes.

Pendant un tout petit peu plus de cinq minutes.   … Le Béarn des origines familiales, le français qu’il aimait, qu’il parlait et qu’il essayait d’entretenir par la lecture de Flaubert, la romanité de Nîmes, la colorido du ciel et les yeux des femmes…

La gente professionnelle qui sortait du callejón abreuvait l’élégant d’éclatants «Enhorabuena, ganadero» auxquels il répondait d’un simple «Gracias» donné d’un léger coup de tête.

Sans plus.

Il était exclusivement centré sur celui auquel il s’adressait et, par simple mais naturelle correction, lui consacrait la totalité de son attention et la  complète disponibilité de sa personne.

Pas la peine d’en dire plus.

En matière d’élégance, il en connaissait un rayon l’élégant !

Datos :

–         Juan Pedro Domecq Solis

–         Date/Lieu de naissance : 10 avril 1942, Séville, Espagne

–         Date de décès : 18 avril 2011, Higuera de la Sierra, Espagne

–         Parents : Juan Pedro Domecq Díez

–         Enfants : Juan Pedro Domecq Morenés

–         Feria de Pentecôte 2004 :

–      Mercredi 26 mai : Toros de Miura pour El Fundi, Denis Loré et Juan José Padilla.

Jeudi 27 mai : Toros d’El Pilar pour Juan Diego, Sébastien Castella et Iván García.

Vendredi 28 mai : Toros de Torrealta pour El Juli, José María Manzanares et Fernando Cruz (alternative).  

Samedi 29 mai : En matinée – Corrida mixte, Toros de Jandilla et Los Espartales (en rejoneo) pour César Rincón et Sébastien Castella, que précédera, à cheval, Pablo Hermoso de Mendoza.

Samedi 29 mai – vespertina : Toros de Nuñez del Cuvillo pour Jesulín de Ubrique, César Jiménez et Matías Tejela.

Dimanche 30 mai – En matinée : Toros de Juan Pedro Domecq pour Enrique Ponce, Javier Conde et Matías Tejela.

Dimanche 30 mai – vespertina : Toros de Palha pour Fernandez Meca, Jesús Millán et El Cid.

Lundi 31 mai – En matinée – Rejoneo : Toros de Santa María pour Marie Sara, Andy Cartagena et Sergio Domínguez.

Lundi 31 mai – vespertina : Toros de Samuel Flores pour César Rincón et Enrique Ponce, en mano a mano.

Patrice Quiot

(Photo : Juan Pedro y Juan Pedro… padre e hijo)