J’ai lu «Hercules 1959», le roman posthume d’Antoine Martin.
Un mix de gruau cinématographique et de destins.
Des Alcibiade en tricot Marcel, des Jason en cyclomoteur de 50 cm3 et des Héra en tablier de cuisine.
Un kaléidoscope du détournement.
Une splendeur.
Les personnages auraient pu être ceux d’une charlotade.
L’écriture d’Antoine en a fait des figurones.
Au cartel de ce seul contre douze : Un employé municipal préposé aux fontaines, un facteur communiste terrassant un curé taurin, une veuve en lutte contre de sales pigeons, un camionneur polonais dépannant providentiellement un grand footballeur, un mercier profane qui voudrait placer une antenne de radio sur la peau lisse de sa voiture neuve, un lycéen épris de vitesse, une coiffeuse sur le point de céder à ses tentations, un charbonnier ténébreux qui venge ses confrères chevaux, une femme de ménage.
Des personnages du commun de la vie.
Voués au montón de la médiocrité ordinaire.
Qui deviennent des héros de cinoche.
Sans strass, sans Ray-Ban, sans paillettes.
En habit et sentiments de tous les jours.
En buvant du Pschitt orange et partageant le gratin de macaronis des dimanches soirs en regardant à la télé le catcheur Robert Duranton en noir et blanc.
Dans la lumière d’un style.
Sous le soleil de l’été et la glace de l’hiver de l’an 1959 après JC.
De la 403 Peugeot de Lucien Polycarpe à la fosse septique de Noël Mamal (dit Lapin), au vélo « demi course de marque La Gazelle avec fourche en acier chromé, triple plateau à dérailleur Sachs, freins Weinmann et boyaux Vittoria à flancs dorés » de Christian Arménise au jeu des sept familles de Maurice Forçut.
Ils vont. De Sommières à nulle part.
Du cinéma Rialto de René Saturnion à Hollywood.
De Sparte à Taillebourg, d’Argos à Arques la Bataille.
Du sanglier d’Erymanthe à Mimile de Genevilliers.
D’Abelardo à José Gómez Ortega «Joselito».
De Lazare Abragar (dit L’Afrique) à William Faulkner.
D’un quartier de garrigue nîmoise à l’éternité.
Une ode populaire à la magnificence.
Un péplum plébéien en un roman.
Une manière en tongs de plastique, en toge et stylet socratique.
Un brindis au ciel de l’écriture.
Longue comme un train de phosphates.
Précise comme une notice pharmaceutique.
Stricte comme le Viti.
Acérée comme une épée de Luna.
Une colonne dorique.
Un oloroso de Lustau.
Oxydée comme un clou rouillé.
Coquine et fumante comme un puchero.
Affriolante comme une pythie.
Tous existent.
Pour le torse épilé et les pectoraux de Steve Reeves.
Pour les songes brulants de Jeanine Tulp, coiffeuse de son état.
Pour le décolleté et les cuisses de Sylva Koscina sous la jupette.
Pour le taf de merde de Toussaint Médina (dit Trois Couilles).
Par la façon de le dire.
Un assemblage qui n’en est pas un.
Un patchwork du quelconque en technicolor bi-chrome.
Une grimace en rideau rouge au convenu.
Un sourire d’entracte à l’esquimau «Miko» de la vie.
Quites à Noël Mamal (dit Lapin) et aux têtes tranchées qui repoussent sans cesse de l’hydre de Lerne.
Banderilles de Maurice Forçut (dit Mauricet) pour enchainer le chien Cerbère.
Kikirikis de Madeleine et Dieudonné Dondedieu pour terrasser le géant Geryon au trois corps.
Pechos inversés d’Alex Calchas au taureau de Minos.
Univers étroits sur un écran géant.
Vies étriquées et profondeur de champ.
Un registre de parole unique.
Un vocabulaire de luceros.
Une grammaire d’agrégé en goguette.
Une syntaxe d’académicien à l’apéro du mazet.
Un travail de Titan.
Personnages loin des Guermantes.
Mais proches de nous.
Comme Joe Christmas, Quentin Compson, Temple Drake, Sutpen Thomas ou K.Ratcliff, le vendeur de machines à coudre.
De William.
Comme Jedrzej Brozek, María de la Concepción Vega Robledo (dite Conchita), comme la veuve Nuque et Alex Calchas. D’Antoine.
Tous trainent la grandeur de la banalité de leurs origines.
En rêvant.
Pour dire qu’on n’est jamais vraiment à ce qu’on fait, qu’on est toujours à côté, décalés par rapport au rythme du dehors.
Loin mais près.
En 1959 comme aujourd’hui.
Hercules 19593 est un enchantement.
Douze récitals d’intelligence de la condition humaine.
Un délicat hommage au pauvre désuet.
Des figurines du quotidien dans lesquelles on se retrouve un peu.
Un souffle.
Un talent.
Un dernier clin d’œil.
Antoine Martin.
Un Balzac des Habitations à Loyer Modéré, du haricot de mouton et des plans Chalandon du Mas de Mingue.
Un Faulkner de la Vaunage.
«Hercules 1959»/Editions: Au Diable Vauvert /15 Avril 2021.
Datos :
Antoine Martin (1955 – 5 avril 2021)
· Le Sapeur Pompée et la grande échelle Maryse (ill. Gilles-Marie Baur), Paris, Nathan, 1992
· Rue Pergolèse, Castelnau-le-Lez, Climats, 1992
· Gloria, Dions, Rayons Alpha, 1994
· Histoire de l’humanité : fragments, Castelnau-le-Lez, Climats, 1997
· El niño, Castelnau-le-Lez, Climats, 1998
· Figurines (préf. Michéa Jacobi), Pau, Cairn, 2000
· La Sentinelle du fleuve Niger (photogr. Michel Calzat), Limoges, Hivernage, 2006
· La Cape de Mandrake et autres nouvelles, Vauvert, Au diable vauvert, 2008
· Fou de ferias (illustration Michéa Jacobi) Sedicom 2008
· Profession torero (coécrit avec Robert Piles) Atelier Baie 2011.
· Le chauffe-eau : épopée, Vauvert, Au diable vauvert, 2012
· Produits carnés : et autres nouvelles, Vauvert, Au Diable vauvert, 2014
· Juin de culasse : odyssée, Vauvert, Au diable vauvert, 2014
· Conquistadores : sitcom, Vauvert, Au diable vauvert, 2015
· Fou de fêtes votives (illustration Arnaud Fayet) Vauvert, Au Diable vauvert, 2018.
· Prix Hemingway 2009,
Antoine Martin a traduit Camilo José Cela, Manuel Chaves Nogales ou Juan Miguel Aguilera…
Patrice Quiot