Je me refais de temps à autres depuis qu’un ami m’a donné le bon plan joselitien**, quelques passages de son encerrona madrilène de 1996 pour bien en fixer les parties importantes. Celles qui ne peuvent être analysées qu’a posteriori dans leur configuration globale.

Elles portent en général sur plusieurs thèmes. Le comportement global du toro – incluant sa présentation, ses qualités et défauts, son allure pendant les différents tercios -, les réactions du public, les décisions du palco, le travail des cuadrillas, les conditions météo, et plus généralement tout ce qui touche à la partie technique de la corrida.

La nature humaine est faite de telle sorte qu’elle pardonne l’erreur. Prenons un maestro qui combat 2 toros ; s’il est très mauvais sur le premier et sensass sur son second, on ne gardera que l’image positive de la fête. Mais avec 6 toros de 6 ganaderías différentes combattus à « seul contre tous », il n’est pas facile de rendre une copie quasi parfaite dans la diversité de ce qui y est proposé. Il faut tout d’abord une condition physique exceptionnelle car la rencontre sportive l’y oblige. Parmi les parties de cette encerrona, qui ne peuvent être jugées non pas sur un toro (en général les statistiques sont trompeuses), mais en synthèse, une donnée m’a sauté aux yeux, en tant que vraie signature de cette page d’histoire.

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6 toros, six coups d’épée.

Pas le moindre pinchazo. Six suerte de matar parties droit, en plein dans le berceau, et tellement engagées que le maestro se joue la vie à chaque étape. Et là, tournons-nous vers les probabilités pour savoir si ça ne peut pas être le fruit du hasard. Non. Mais la séquence proposée par Joselito révèle un quasi monogramme personnel du maestro. Pundonor et engagement d’un rare classicisme. Quand on sait que l’épée est le résultat préparé de la faena d’une part et des capacités du toro à cet instant précis, on mesure la dose de sens taurin aiguisé qu’a eue Joselito en cette tarde répétée six fois de suite dans les mêmes conditions, de manière indépendante dans cette « épreuve de Bernoulli » donc à deux issues. Certains de ses volapiés sont à montrer en exemple dans toutes les écoles taurines. Le choix du moment précis (et pas dépassé comme hélas on le rencontre si souvent avec des maestros qui, lorsque le temps de matar est arrivé, continuent à toréer un adversaire déjà complètement cuit car arrêté), combine une somme de paramètres qui doivent être analysés instantanément par le maestro. Le cadrage et la mise en suerte du bicho, (et en particulier celle d’aider le torero en poussant sa dernière charge coordonnée avec l’humiliation puissante dans la muleta dégageant parfaitement l’endroit idéal d’entrée de la lame, l’ensemble se passant en quelques centièmes de seconde) sa capacité à démarrer sa dernière charge puissamment de son arrière train en coordonnant poussée et humiliation, sont des variables d’état qui contribuent à trouver le moment idéal. Encore faut-il que le toro ait gardé suffisamment de traces de bravoure pour cet instant qui devrait dans l’absolu, être unique et qui est trop souvent survolé même par les figuras avec des résultats qui ne servent pas la corrida, tant l’épisode devient violent et sanguin et quelquefois difficilement supportable même par l’aficionado le plus aguerri.

Je pense que l’encerrona de Joselito à cette San Isidro 1996 est le plus abouti, didactique et formateur des « único espada » qui nous ait été proposés.

La plupart des réponses aux questions que pose la corrida s’y trouvent, de manière directe, suggérée voire subliminale.

¡ Olé, Maestro !

**Pour ceux qui ne l’ont pas vu, voilà presque deux heures de science taurine des années 90, offerte par Miguel Arroyo, alias Joselito. Vous pouvez les regarder toro par toro tant la diversité y est présente… Il est actuellement propriétaire des ganaderías El Tajo y La Reina, dont les toros sont très prisés et redoutés dans les arènes où ils sortent devant des toreros qui les craignent à juste titre. Mais bien sûr, toutes les figuras ne s’y frottent pas… et pour cause ! Le risque y étant bien réel et affiché dès la sortie du toril.

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Merci EB qui m’en a informé.

Denis Guermonprez