« Plaza de toros de San Sebastián; six toros de don Atanasio Fernández pour Diego Puerta, Paco Camino et Santiago Martín “El Viti”.

Poids des toros: 479, 474, 500, 463, 460 y 469 kg.

Dans le Saint-Sébastien de ma jeunesse, avant de couper le Paseo Nuevo, la rue Salamanca se terminait à La Zurriola.

C’est ainsi qu’on appelait les rochers situés près de l’embouchure de la rivière Uremea ; la mer y était forte, particulièrement lors des marées printanières ou de septembre.

Jours d’exultation marine.

Un endroit splendide.

Pour tous les vacanciers, La Zurriola était une visite incontournable.

A La Zurriola, face à l’énorme force des vagues, même les jours de mer calme, nous restions bouche bée comme des paysans nous faisant des remarques pleines de naïveté et d’ignorance.

Lorsque la marée montait, il n’était pas rare qu’une vague furieuse arrive jusqu’à nous et nous trempe comme des soupes.

Quels cris ! Quels rires de ceux qui n’avaient pas reçu la douche ! Quelle stupeur de ceux qui étaient trempés !

Mais il fallait voir La Zurriola un jour de tempête ou en septembre quand la mer est agitée.

C’était un superbe spectacle.

Quelle force et quelle arrogance dans ces terribles vagues!

Quelle écume de rage devant leur impuissance à détruire les rochers !   La vague, la vague formidable prenait sa course, venait de loin menaçante, imposante et s’écrasait avec une puissance terrible et inutile.

Et nous, Madrilènes, avions peur ; nos mâchoires tombaient, nos jambes tremblaient et nos cœurs battaient.

Cet après-midi, avant d’aller à la corrida, je suis retourné dans ce qui reste de la vieille Zurriola, c’est-à-dire presque rien.

La mer était calme, le ciel ensoleillé.

Il y avait des vagues, bien sûr, parce que les vagues sont vouées à ne jamais se reposer ;  mais c’étaient des vagues paisibles, dont on pouvait dire qu’elles s’écrasaient par pur compromis comme si quelqu’un les poussait, peut-être  une sirène fragile.

Comme si leur force s’était évanouie.

L’écume ne s’étalait pas avec la rage des vagues ébouriffées, mais se répandait doucement, comme si la sirène voulait exposer sa dentelle au soleil.

C’était joli, oui, mais rien de plus que joli.

C’étaient des vagues sages comparées aux énormes, immenses comme une tragédie grecque.

Rien du spectacle bouleversant d’une tempête dans la Zurriola de ma jeunesse !

Aujourd’hui, j’ai vu deux taureaux d’Atanasio Fernández comme une marée de printemps.

Une tempête comme celles de  la Zurriola.

Qu’un torero a fait renaitre.

dp17h

Diego Puerta.

Un coup de vent qui a commencé dès la sortie de son premier taureau, qui a pris la cape avec des bonds qui auraient effrayé n’importe quel torero.

Un autre aurait été sur la défensive, mais pas  Puerta.

On aurait dit un nageur se jetant dans les vagues qui se fracassent contre les rochers.

Le taureau prit un varetazo puis  trois piques dont il sortit seul et arriva à la muleta avec du  genio.

Le bon.

Avec l’entrain de la bonne caste, avec un brio qui rappelait celui des vagues de  la marée haute.

Et  en face de lui, un torero pour le soumettre avec le cœur dans la main bandée qui tenait la muleta.

La main et  le cœur qui le portaient vers le taureau.

Avec le courage et la rage des vagues de la Zurriola de ma jeunesse.

Magnifique faena habillée du soleil de la grâce, des étincelles de l’art et des éclairs du courage.

A chaque passe, un cri d’angoisse.

A chaque passe, un cri d’enthousiasme.

Superbe faena, une des rares qu’on puisse voir dans sa vie.

Une estocade comme une vague s’écrasant contre le rocher.

Le public demande une oreille.

Demandez l’autre !

Demandez la queue !

Le président accorde les deux oreilles et au lieu du mouchoir blanc pour accorder la queue, il sort le bleu pour la vuelta al ruedo

Monsieur le Président, pourquoi un tel gâchis ?

Le taureau fut excellent  dans le dernier tiers, mais il était sorti seul des piques.

Ne pensez-vous pas que c’était une indication suffisante pour affirmer que c’était un taureau de bandera, mais cependant pas digne du prix que vous lui avez gratuitement  accordé?

Presque tous les toreros, lorsqu’ils ont obtenu un triomphe aussi retentissant que celui de Diego Puerta avec son premier, se seraient laissé aller avec l’autre.

Pas Diego Puerta.

Sortit le quatrième qui prit deux piques.

Et Diego Puerta sortit comme il était sorti à son premier, avec son cœur dans la main.

Je ne pensais pas que j’étais à la plaza.

J’étais à La Zurriola.

Ce n’était pas un jour d’août. C’était un jour de septembre. Picamar vivant.

La faena de Diego Puerta  à son second a été supérieure à  celle du premier.

Je suis rarement confondu et il faut que la commotion soit forte pour que mes sens soient ainsi altérés.

Mais Diego Puerta m’a confond, comme il a confondu  tous les spectateurs.

Diego Puerta a réuni  le courage et l’art, combinaison à laquelle très peu de toreros parviennent.

La faena de Diego Puerta fut  bouleversante et admirable comme les puissantes vagues de La Zurriola.

Que le courage de Diego Puerta fut beau !

Que la tauromachie qui unit ainsi le courage à la beauté est belle !

Demi-estocade sin puntilla.

Pour une telle faena, les deux oreilles ne furent rien.

Il aurait fallu donner La Zurriola à Diego Puerta.

Diego Puerta avait emballé l’après-midi.

Camino et «El Viti» coupèrent deux oreilles chacun.

Et les trois firent ensemble la vuelta al ruedo que le public exigea. »

Antonio Díaz-Cañabate

ABC, 17 août 1963  

Datos :

Antonio Díaz-Cañabate y Gómez-Trevijano (Madrid 21 août 1897, Madrid, 16  août 1980) avocat, crítique taurin et auteur de théâtre.

Ouvrages :  

·        Historia de una taberna (1944) – Dedicada a la Taberna de Antonio Sánchez.

·        La fábula de Domingo Ortega (1950)

·        Historia del tren (1959)

·        Los toros trato técnico e histórico (El Cossío, volumen V y VI) (1949-1965)

·        Historia de una tertulia (1962)

·        Historia de tres temporadas (1961)

·        Paseillo por el planeta de los toros (1970)

·        El mundo de los toros (1971)

Pour mémoire, relire l’article de Jacques Durant consacré au « Caña » dans l’édition de « Libération » du 12/05/2005 à l’occasion de la sortie du livre « El Maestro Cañabate » de Ignacio de Cossío. Editions Tutor.

Patrice Quiot