J’avais 19 ans.
Ambiente Odéon*.
Paris : Salle de l’Odéon : 21 mai 1968
Un touriste anglais : « Je demande qu’à l’Odéon le sujet soit plus large et ne s’en tienne pas seulement à la France ». (Ovación)
Un commerçant gaulliste : « Les étudiants et les ouvriers ont les mêmes intérêts : On est étudiant pour ne pas être ouvrier. » (Bronca)
Réponse d’un étudiant : « La question n’est pas là ; le problème c’est qu’un ouvrier puisse étudier » (Aplausos)
Un ouvrier : « Le bourgeois n’est pas un ouvrier qui a réussi : c’est avant tout un état d’esprit. Le problème est de changer les structures profondes, être des gens qui pensent. Dans la société américaine, l’ouvrier a un grand confort, mais il ne pense pas. Je demande qu’on puisse faire vivre sa famille en travaillant normalement, et en ayant le temps de vivre, au sens large du terme, c’est-à-dire aussi de penser… » (Ovación)
Un garçon de café : « Je gagne 1 400 francs par mois. J’ai deux enfants, je pars de chez moi à 8h, je rentre à 10 heures du soir. Je vois mes enfants une fois par semaine. Eh bien, je trouve ça payer trop cher sa vie ! » (Ovación).
Un représentant de commerce : « L’abrutissement des gens est méthodiquement organisé par le gouvernement, par exemple à la télévision. Un monde capitaliste ne peut pas accepter la critique car il se détruirait lui-même »…
Le commerçant gaulliste : « C’est faux ! La preuve c’est qu’on vous laisse parler à l’Odéon ! »
Un médecin marxiste : « Le Parti communiste représente la seule force vraiment révolutionnaire. Votre mouvement va tout droit au fascisme. (Pitos) Vous faites du néocapitalisme, parce qu’en niant tout, vous ne niez rien. Vos idéaux sont ceux d’Hitler et Mussolini (Gritos) : Oui, c’est le même romantisme nihiliste à la base ! Vous vous coupez du communisme parce que vous en avez peur ! » (Gritos)
Une femme de cinquante ans : « Il faut s’en référer au christianisme : Lui seul peut nous sauver ! (Risas en el público) Il faut construire avec l’aide de Dieu ! (Risas y pitos) Votre mouvement s’enlise, car il est plein de tendances qui s’opposent : seule la foi pourrait les unifier ! » (Bronca)
Un étudiant : « On n’a pas fait les barricades pour une augmentation de salaire ! Pour ça, il suffisait de faire une grève comme il y en a eu tant, en allant une fois encore, comme des moutons, à l’appel des syndicats, de la Bastille à la République ! Cette fois, les rues ne servent plus aux défilés de cocus pacifiques, elles servent au dépavage et à la résistance aux flics. » (Ovación).
Quelqu’un dans la salle : « Beaucoup de chrétiens sont au premier rang de la révolution : il faut que le mouvement affirme ouvertement qu’il ne les rejette pas. (…) Il y a même des curés qui sont avec nous ! »
Dans la salle : « Allons à Notre-Dame pour donner à bouffer aux enfants des grévistes ! »
La bigote : « Nous sommes tous frères ! » (Hurlements, on veut la sortir, le service d’ordre intervient pour calmer la salle) »…
Ambiente Odéon.
In my memory.
For ever. *Le Théâtre national de l’Odéon, dénommé depuis mars 1990 Odéon-Théâtre de l’Europe, est un théâtre public parisien situé place de l’Odéon (6e arrondissement), inauguré en 1782 pour accueillir la troupe du Théâtre-Français.
Datos : 10 jours en mai :
• 13 mai
Importante grève générale et manifestations ouvriers-enseignants-étudiants dans toute la France.
Manifestation parisienne de la gare de l’Est à Denfert-Rochereau : on dénombre jusqu’à un million de personnes dans le cortège. Les étudiants continuent jusqu’au Champ-de-Mars. La Sorbonne est rouverte et aussitôt occupée. La cour d’appel remet en liberté provisoire les condamnés du 5 mai.
• 14 mai
Départ du général de Gaulle pour la Roumanie.
Dépôt d’une motion de censure à l’Assemblée nationale par le PCF et la FGDS.
Occupation de l’usine Sud-Aviation à Bouguenais (près de Nantes en Loire-Atlantique), où la direction est séquestrée par les grévistes. À Woippy, près de Metz (Moselle) : grève de 500 métallurgistes.
Occupation de divers lycées et établissements d’enseignement supérieur.
La Sorbonne se déclare « commune libre » et la faculté de Nanterre autonome.
• 15 mai
Occupation à Paris du théâtre de l’Odéon, et de l’École des Beaux-arts transformée en « atelier populaire » – Occupation de l’usine Renault à Cléon (Seine-Maritime).
Début de la grève des chauffeurs de taxi.
• 16 mai
Le mouvement de grève et d’occupation s’étend aux entreprises, notamment aux sites de Renault à Flins (Yvelines), puis à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), ainsi qu’à la SNCF, à la RATP, à Air France et dans la métallurgie.
•17 mai
Rencontre FGDS-PCF.
Grève à l’ORTF. Organisation des états généraux du cinéma français, qui votent également la grève.
À Paris, les militants situationnistes quittent la Sorbonne, et forment le Conseil pour le maintien des occupations (CMDO). Dans la soirée, un cortège étudiant part du Quartier latin vers Boulogne-Billancourt.
• 18 mai
Retour à Paris du général de Gaulle qui dénonce la « chienlit ». La grève s’étend, la paralysie économique gagne l’ensemble du pays : on compte entre 3 et 6 millions de grévistes.
À Paris, début des rassemblements d’extrême-droite le soir place de l’Étoile (quelques milliers de participants). La CGT propose une rencontre à la FGDS qui refuse.
• 19 mai
Interruption du festival international de cinéma à Cannes, à la demande unanime du jury.
À Paris, Jean-Paul Sartre s’exprime dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne.
Le SNI et le SNES lancent un appel à cesser le travail.
• 20 mai
Occupation de lycées par les CAL, et par certains comités de grève d’établissements.
Le SGEN-CFDT (enseignement dans les premier et second degrés) lance un ordre de grève illimité. La FEN appelle à cesser le travail à partir du 22 mai.
• 21 mai
Daniel Cohn-Bendit est interdit de séjour en France.
Forte extension du mouvement de grève : après le secteur des Postes et Télécommunications, entrent en grève ceux de la chimie, du textile, les entreprises Peugeot, Michelin, Bréguet, Citroën, EDF et GDF, ainsi que la fonction publique et les grands magasins : on compte alors entre 8 et 10 millions de grévistes. Occupation des locaux de l’Ordre des médecins, de l’Ordre des architectes, et de la Société des gens de lettres.
• 22 mai
Manifestations dans la soirée et dans la nuit à l’appel du Mouvement du 22 mars, de l’UNEF et du SNESUP, contre l’interdiction de séjour de Daniel Cohn-Bendit.
Rencontre entre la CGT et la CFDT, qui publient cinq points revendicatifs, fondant leur accord d’unité d’action de 1966, et constituant selon elles les bases de la négociation.
La motion de censure déposée au Parlement par la FGDS et le PCF est rejetée, elle ne recueille que 233 voix. À l’initiative de l’UDR, création des Comités de défense de la République (CDR).
L’ORTF se met en grève.
« A Nîmes, le 13 mai, lancé d’abord par les lycéens d’Alès suivis par leurs collègues locaux, le mouvement s’est surtout traduit par des rassemblements imposants (20.000 à 30.000 personnes estimées), sans débordements inquiétants. Mais tandis que la fin du mois approchait, dans un contexte où les services publics étaient paralysés, les moyens de transport quasi inexistants et le carburant introuvable ou rationné, impossible d’imaginer une Pentecôte digne de ce nom.
Donc, aux oubliettes les abrivados du boulevard Victor-Hugo ou d’ailleurs, la pégoulade avec majorettes ou le club des Allobroges nîmois en tenue de gymnaste, et éteintes les musiques des peñas ou bandas espagnoles. Et enfin, en toute logique, écartée l’idée, aux arènes, d’organiser des après-midis avec face à face toros et toreros venant d’Espagne ».
(Fuente : Roland Massabuau)
Patrice Quiot