L’Andalouse
Avez-vous vu, dans Barcelone,
Une Andalouse au sein bruni ?
Pâle comme un beau soir d’automne !
C’est ma maîtresse, ma lionne !
La marquesa d’Amaëgui !
J’ai fait bien des chansons pour elle,
Je me suis battu bien souvent.
Bien souvent j’ai fait sentinelle,
Pour voir le coin de sa prunelle,
Quand son rideau tremblait au vent.
Elle est à moi, moi seul au monde.
Ses grands sourcils noirs sont à moi,
Son corps souple et sa jambe ronde,
Sa chevelure qui l’inonde,
Plus longue qu’un manteau de roi !
C’est à moi son beau corps qui penche
Quand elle dort dans son boudoir,
Et sa basquina sur sa hanche,
Son bras dans sa mitaine blanche,
Son pied dans son brodequin noir.
Vrai Dieu ! Lorsque son œil pétille
Sous la frange de ses réseaux,
Rien que pour toucher sa mantille,
De par tous les saints de Castille,
On se ferait rompre les os.
Qu’elle est superbe en son désordre,
Quand elle tombe, les seins nus,
Qu’on la voit, béante, se tordre
Dans un baiser de rage,
et mordre En criant des mots inconnus !
Et qu’elle est folle dans sa joie,
Lorsqu’elle chante le matin,
Lorsqu’en tirant son bas de soie,
Elle fait, sur son flanc qui ploie,
Craquer son corset de satin !
Allons, mon page, en embuscades !
Allons ! la belle nuit d’été !
Je veux ce soir des sérénades
À faire damner les alcades
De Tolose au Guadalété.
Alfred de Musset « Premières poésies » (1829)
Datos :
Alfred de Musset : Poète, dramaturge et écrivain né le 11 décembre 1810 à Paris, où il meurt le 2 mai 1857*.
Il publie à 19 ans Contes d’Espagne et d’Italie, son premier recueil poétique.
Il fait alors partie du groupe d’écrivains regroupés autour de Victor Hugo, le Cénacle, qu’il quitte peu après.
L’auteur met à mal la syntaxe, déstructure les vers, utilise les thèmes romantiques en forçant le trait jusqu’à la provocation, pour « se distinguer de cette école rimeuse » qu’est selon lui le romantisme du Cénacle hugolien.
Une sorte de Manuel Benítez Perez de la strophe !
Il commence alors à mener une vie de « dandy débauché », marquée par sa liaison avec George Sand (de 1833 à 1835), tout en écrivant des pièces de théâtre : À quoi rêvent les jeunes filles ? en 1832, Les Caprices de Marianne en 1833, puis le drame romantique Lorenzaccio – son chef-d’œuvre -, Fantasio et On ne badine pas avec l’amour.
Il publie parallèlement des poèmes tourmentés comme la Nuit de mai et la Nuit de décembre en 1835, puis La Nuit d’août (1836), La Nuit d’octobre (1837), et un roman autobiographique, La Confession d’un enfant du siècle en 1836.
Dépressif et alcoolique, il écrit de moins en moins après l’âge de 30 ans.
Mort à 46 ans.
Comme le « Paquiro », celui de Chiclana.
Alfred est enterré dans la discrétion au cimetière du Père-Lachaise et demeure une des figuras romantiques, même si Baudelaire a qualifié sa poésie de “dandinements de commis voyageur”, Flaubert de “coup d’œil de coiffeur sentimental” et Rimbaud de “quatorze fois exécrable ».
Ça ressemble un peu à ce qu’écrivait Alfonso Navalón en parlant de Manzanares padre, de Dámaso, de Migueln ou de José Fuentes…, non ?
PS : De santé fragile, mais surtout en proie à l’alcoolisme (pébron dans le lexique nimeño), à l’oisiveté (branleur dans le même) et à la débauche (festaïre dans l’identique), le Alfred meurt de la tuberculose (à Pissevin on dit tubard) le 2 mai 1857 à 3h15 du matin (à peu près l’heure à laquelle fermait «Le Méditerranée» de Marius le dimanche de Pentecôte !) à son domicile du 6 rue du Mont-Thabor – Paris 1er* quelque peu oublié, peuchère.
Cependant, Lamartine, Mérimée, Vigny et Théophile Gautier assistent à ses obsèques en l’église Saint-Roch.
Ça, c’est de braves collègues !
*En face, au 7, il y a un troquet qui s’appelle «Le Petit Bar» ; ils font à manger à midi comme le faisait «L’Aiglon», sauf que c’est moins bon et beaucoup plus cher…
Patrice Quiot