« Les cornes aiguisées, une vingtaine de taureaux attachés à des pieux s’ébrouent avant d’entrer sur l’arène boueuse pour se mesurer l’un à l’autre, sans effusion de sang.
Tous les vendredis après-midi, des centaines de villageois se rassemblent à Barka, sur la côte fertile au nord de Mascate, pour assister à ce combat de taureaux perpétuant une tradition séculaire dans le sultanat d’Oman.
Contrairement aux corridas espagnoles, les bêtes à Barka se mesurent l’une à l’autre, sans matador. Conformément aux règles en vigueur, tout saignement d’un des animaux entraîne l’arrêt immédiat du combat, qui dure d’habitude entre deux et trois minutes seulement.
Les deux taureaux se confrontent à coups de tête et de cornes et si l’un d’eux est poussé hors de l’arène ou fuit le combat, il est déclaré perdant.
Un juge est chargé de désigner le vainqueur et, en cas de litige, les vieillards du village interviennent pour trancher.
« Je venais ici, enfant, avec mon père pour voir le combat qui a toujours fait partie de ma vie », dit Issa al-Balouchi, 52 ans, devenu aujourd’hui un des organisateurs de ce rituel hebdomadaire qui attire entre 100 et 200 personnes, presque exclusivement des hommes.
Le combat se déroule tous les vendredis tour à tour à Barka, à 80 kilomètres au nord de Mascate, et à Seeb, une banlieue de la capitale.
Certains villageois viennent de localités situées jusqu’à 100 kilomètres de distance pour faire participer leurs taureaux aux duels.
Pour eux, une défaite peut être parfois dure à avaler. «Je t’ai dit d’arrêter le combat, je t’ai dit de l’arrêter», rage le propriétaire d’un taureau noir en voyant sa bête humiliée et poussée hors de l’arène par sa rivale du jour, au milieu d’un tonnerre de rires de la foule.
Le propriétaire furieux a même failli attaquer l’équipe chargée de séparer les deux taureaux, à l’aide de cordes attachées à leurs cornes, si le combat devient excessivement violent.
M. Balouchi, qui désigne les adversaires en fonction de leur poids, âge et force, rétorque que les cordes s’étaient enchevêtrées et que le combat entre Fawaz (le gagnant, en arabe) et le malheureux Farhan (heureux, en arabe) n’était pas inégal.
Si un animal est blessé, ses plaies sont soignées d’abord avec de l’eau salée, puis aspergées avec un analgésique avant d’être couvertes d’un baume cicatrisant.
Dahab vaut son pesant d’or… Pieds nus, Youssef al-Balouchi, un fonctionnaire, s’enflamme en voyant son taureau Dahab (or), qu’il vient d’acheter pour 4000 dollars, faire un honorable match nul lors de sa première sortie à Barka.
Le prix des taureaux vedettes, qui sont pour la plupart originaires du Pakistan et d’Inde, peut aller jusqu’à 5000 rials (12.800 dollars), mais les paris sur les vainqueurs sont interdits, conformément aux préceptes de l’islam qui prohibe les jeux de hasard.
Les taureaux commencent à combattre dès l’âge de deux ans. La veille du combat, un régime léger leur est imposé et l’accouplement leur est interdit pour préserver leur énergie.
Pendant la semaine, leur régime est à base de poissons mélangés avec des dattes.
Quelques heures avant le combat, ils sont emmenés pour une baignade dans l’océan Indien.
Jadis apprécié pour labourer la terre ou tirer l’eau de puits pour renflouer les canaux, un taureau fort fait aujourd’hui la fierté non seulement de son propriétaire et sa famille, mais de son village tout entier.
La journée de combat s’achève avec le coucher du soleil. La foule, faite d’hommes et de garçons portant des dichdachas (longue robe traditionnelle) et des chapeaux plats, quitte alors l’arène et se dirige vers la mosquée pour accomplir les prières du soir. »
Fuente : « L’Orient Le Jour »
Patrice Quiot