En vieillissant j’ai  le goût de revenir au léger.
Au sobre.
Au frugal.
A la concision.
A l’épure.

A celle du «Viti ».
A l’incipit de «L’étranger».
A une sole juste grillée.
A une saillie de Voltaire.
A un coup d’épée tout simplement mortel.

En vieillissant, je n’ai plus le goût au pesant.
Au compliqué.
Au gras.
A la redondance.
Au superflu.

Aux faenas de soixante passes.
Au lugubre du « Entre ici Jean Moulin.. »
A un pélardon des Cévennes de Denis Sauveplane humilié au grill électrique et servi coulant sur des toasts gluten free.
Aux apitoiements de Rousseau.
A la glose épaisse des tertulias de comptoir.

La magie de la neige imbécile m’emmerde.
Les yeux émerveillés des enfants me fatiguent.
Les  bons sentiments me pèsent.
Les randonnées sur les sentiers pleins de cailloux m’insupportent.
Le décompte des puyazos donnés à un toro m’indisposent.

Le désert m’enchante.
La garrigue me ravit.
Une réplique d’Audiard dite par Blier me met aux anges.
Le sifflement en quatre notes d’un peintre sur un échafaudage à l’intention d’une gonzesse me comble.
Et une huitre de Bouzigues gobée sur la plage comme le silence de Séville après un fracaso de Curro  aussi.

Je déteste le bruit de la débrousailleuse au moment de la sieste.
Je n’imagine pas le Ricard autrement que dans un verre embué.
Je ne supporte pas de corner les pages d’un livre et les chemises à manches courtes.
J’appréhende les cigarettes dont le papier se crevasse.
Je voue aux gémonies les aficionados en marcel et en tongs.

J’aime me promener seul dans les rues d’une ville en fête.
J’aime les souliers cirés et les mouchoirs blancs.
Et les lunettes sans marques de doigts.
J’aime l’aristocratie de «Habit Rouge» de Guerlain.
Et le plaisir de la poche encombrée de l’enveloppe contenant les entradas.

pq21ph

La vulgarité de l’ordinaire me noue le ventre.
Les pique-niques en taboulé et en œufs durs me gavent.
L’encre du journal sur les mains me contrarie.
La tache de sauce tomate sur le pantalon blanc me rend jobard.
Et le claquement des mains à l’unisson des notes de l’ouverture de «Carmen» du paseo me fâche.

J’aime toucher les pierres grises des arènes.
J’aime le cuir et la plaque de cuivre du fundón d’épées.
Et l’odeur du savon «Maja» à l’œillet des chambres de toreros.
J’aime le ciel sans nuages.
Et la coleta qui dépasse de l’arrière de la montera.

Je hais la bêtise.
Je hais la médiocrité.
Je hais la suffisance.
Je hais les sentencieux.
Je hais le mauvais toreo.

J’aime les nuits courtes et pleines de sommeil.
J’aime  la voix de mes amis.
Et les étagères de bouquins bien alignés.
J’aime les matins frais d’un plein été.
Et trois naturelles au centre du ruedo.

Je condamne  les piercings dans le nez.
Les boucles d’oreilles des cranes en skinhead.
Et le french manucure aux paillettes de connerie.
Je prohibe les señoritos en gourmette et montre Rolex.
Et les señoritas en bimbos des barreras de sombra.

Je défends les causes perdues des clochards de Whitechapel.
Je défends Calas injustement condamné « à être rompu vif, à être exposé deux heures sur une roue, après quoi il sera étranglé et jeté sur un bûcher pour y être brûlé ».
Je défends Jaurès.
J’épouse la cause de Blaise Cendrars, manchot en képi blanc.
Et  celle des maquis de l’Amérique du Sud de Jaime González « El Puno ».

Je déteste les arrancadas des argumentations imbéciles.
Et les banderilles vides de sens.
J’abomine les faenas de prétention.
Les remates de stupidité.
Et les coups d’épée portés sans amour.

J’aime  l’ombre secrète du patio de caballos.
Et l’alignement parfait des deux aiguilles de la pendule qui dit las seis de la tarde.
J’aime les toros sous les tours mozarabes ou derrière les murets.
J’aime le solo de trompette  de vingt-deux secondes  de «Nerva».
Celui de la banda du maestro Tejera, celui illuminé par Manolo Vásquez au toro de Juan Pedro  le 12 octobre 1983.

Et aussi Morante en haut de forme baroulant sur un âne dans les rues de son village.

Lo digo.
Y lo firmo yo.

Datos :

–   « Orgueil et Préjugés » (« Pride and Prejudice”), roman de Jane Austen paru en 1813.

–  Jane Austen née le 16 décembre 1775 à Steventon, dans le Hampshire en Angleterre, et morte le 18 juillet 1817 à Winchester, dans le même comté.

Patrice Quiot