Depuis l’âge de cinq ans je me meus difficilement.
Cet état ne va pas en s’améliorant.
Et c’est un euphémisme.
Je suis un statique.
 
Marcher me porte peine.
Grimper sur une échelle m’est difficile.
Une côte pentue m’exténue.
Et courir est une activité dont je ne connais que le nom.
 
Je suis condamné à demeurer statique.
Sans trop bouger.
Et, si possible, sans bouger du tout.
Un Don Tancredo du quotidien.
 
Je vais ainsi.
Me disant que s’il en avait été autrement.
Je ne serai pas ce que je suis.
Un statique.
 
Je ne connais pas la rapidité.
Cette composante qui en ennuierait beaucoup, m’enchante.
Dans la mesure où elle m’oblige à faire peu.
Et ce peu, avec lenteur.
 
Je marche lentement.
Je lis et écris lentement.
Je mange et bois lentement.
Et pense encore plus lentement.
 
Je suis une sorte
De  koala
De lémurien
D’échidné de l’espèce humaine.
 
Un statique.
 
Qui, de son état, observe posément.
La vie
Les gens
Et le toreo.
 
J’arrive aux arènes bien avant l’heure.
Et en sort bien après la mort du sixième.
Assis, je me tiens assis.
Et me lève rarement entre deux toros.
 
Je goûte l’asthénie manoletista.
 
J’abomine l’aficionado qui gesticule.
Comme celui qui a la hâte du commentaire.
Celui des jumelles
Qui s’empiffre promptement de pralines.
 
Je me délecte de la langueur pepeluista.
 
Les capotazos frénétiques me fatiguent.
Les piques exaltées m’insupportent.
La célérité du tercio de banderilles m’accable.
Et l’allure véloce du train d’arrastre encore plus.
 
Je bénis l’ascèse belmontista.
 
Je condamne le brindis en agitation de bras.
Précédé d’une chevauchée
Sautillante et leste
Au centre de la piste.
 
Je porte au ciel le détachement romerista.
 
Soixante muletazos hâtifs.
Ne seront jamais le triple de vingt apaisés.
Un ayudado sans alanguissement ne vaut pas.
Et une passe de poitrine sans respiration non plus.
 
Je me réjouis de la nonchalance paulista.
 
Je suis un statique.
 
Se profiler avec impatience
Relève de la correctionnelle
Et tuer dans la précipitation.
Mérite les assises.
 
Je glorifie l’ajournement antoñetista.
 
Le tour de piste comme une balade m’éreinte.
Se baisser pour ramasser un chapeau me pèse.
Embrasser une peluche me harasse.
Et les mots convenus aux micros des médias me font tourner la tête.
 
Je chante la fixité tomasista ou talavantista.
 
J’aime l’arrêté des matins.
Le silence immobile de la nuit.
L’odeur figée d’une pluie de printemps.
Et les murs pétrifiés.
 
Je milite pour la douceur apaisante.
De la déambulation.
Et le calme d’une chambre.
Où rien ne bouge
 
Je défends un capoteo comme une longue sieste.
Unee muleteo comme un beau sommeil.
Une mise à mort comme une lettre d’amour.
Et des triomphes comme les pages tranquilles d’un roman.
 
Ainsi je suis.
Ainsi je vais.
C’est comme ça.
Je n’y peux rien.
 
Je suis un statique.
 
Patrice Quiot